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Anthropologie et histoire : dialogues et confrontations - Séminaire de l’IMAF-Aix

Séminaire de laboratoire du site d’Aix, coordonné par Violaine Tisseau, CNRS / IMAF et Fabio Viti, Aix-Marseille Université / IMAF.

Année universitaire : 2017 / 2018
Périodicité : 1er jeudi du mois de 14h à 17h
Localisation : Maison méditerranéenne des sciences de l’homme
5 rue du Château de l’Horloge
Jas de Bouffan
13094 Aix-en-Provence cedex 2
Calendrier : Du 5 octobre 2017 au 1er juin 2018

CONTACT :
tisseau@mmsh.univ-aix.fr ; fviti@mmsh.univ-aix.fr

PROGRAMME

5 octobre 2017, Introduction
14h-17h, salle Georges Duby
Jean-Paul Colleyn (EHESS, IMAF-Paris), « Les apparences et les pratiques »

9 novembre 2017, Droit et dynamiques familiales
14h-17h, salle Georges Duby
- Marième N’Diaye (CNRS, ISP, Paris), « Analyser les dynamiques familiales au prisme du droit. Enjeux de la production et de l’application du code de la famille au Sénégal »
Au Sénégal, les obstacles à la mise en œuvre et à l’appropriation du code de la famille (1972) confortent l’idée d’une déconnexion entre normes juridiques et pratiques sociales, conduisant implicitement à considérer le droit (étatique) comme un objet de moindre intérêt pour la sociologie. Dans cette présentation, on va au contraire s’attacher à montrer que le droit peut constituer un outil d’analyse pertinent, à condition de le considérer non pas tant sous l’angle de la question de son effectivité qu’à partir des processus par lesquels il finit par s’inscrire dans les rapports sociaux qu’il contribue à façonner. En se basant sur une enquête relative au traitement du divorce et de la succession au sein des tribunaux (contentieux) et maisons de justice (médiation) de Dakar et de sa banlieue, on verra la pluralité des attitudes et jeux à l’égard du droit qui émergent et qui constituent autant d’indices des évolutions des rapports de genre au sein des familles.
- Marie Rodet (SOAS, Londres), « Inventer la justice indigène : la bigamie comme délit colonial au Soudan français (1900-1946) »
En analysant des affaires « d’escroquerie au mariage » et de « bigamie » jugées par les tribunaux coloniaux de Kayes (Mali actuel) dans la première moitié du vingtième siècle, ce travail vise à examiner dans un premier temps le peu d’intérêt colonial pour la géographie complexe des mariages locaux et la circulation des femmes. D’autres part, ces affaires montrent en filigrane le rôle crucial joué par les membres féminins de la famille de l’épouse, notamment les mères et les tantes, dans les négociations de mariage et le soutien qu’elles peuvent apporter à leur fille ou nièce dans ces stratégies maritales. Ce pouvoir spécifiquement féminin se voit cependant bientôt érodé par la codification coloniale des coutumes et l’invention coloniale de délits spécifiques passibles de prison que sont les « escroqueries au mariage » et la « bigamie ».

7 décembre 2017, Violences coloniales
14h-17h, salle 1
- Martin Mourre (IHA-CREPOS, IMAF-Paris), « À propos de la mémoire d’un massacre. Entre histoire et anthropologie, de quel champ disciplinaire relève l’étude de la violence coloniale »
Le 1er décembre 1944 des officiers français de l’armée coloniale faisait assassiner au camp de Thiaroye, dans la banlieue dakaroise, des tirailleurs africains, notamment car ceux-ci réclamaient leurs soldes de guerres. Soixante-dix ans plus tard, François Hollande remettait au président sénégalais Macky Sall « l’intégralité des archives de ce drame ». Le geste du président français s’inscrivait dans sa propre diplomatie archivistique – annonce d’ouverture d’archives concernant le Rwanda, affaire Ben Barka, affaire Fahrat Hached – mais aussi dans un climat hexagonal particulièrement sensible aux « mémoires coloniales » depuis une dizaine d’années. L’année 2005, marquée par les révoltes populaires dans les banlieues et le débat sur la loi énonçant le rôle positif de la colonisation, ayant souvent été désigné comme un tournant dans ces nouveaux enjeux mémoriels. Au Sénégal, si le drame de Thiaroye a fait l’objet de nombreuses réappropriation depuis 1944, on doit noter qu’entre 2004 et 2012 sous la présidence d’Abdoulaye Wade, le massacre de Thiaroye, et plus généralement l’histoire des tirailleurs sénégalais, a fait l’objet d’une politique de mémoire particulièrement volontariste : publications, commémorations, etc. Après avoir rappelé quelques éléments du drame de Thiaroye, puis après avoir tracé une histoire de son souvenir, à la fois en France et au Sénégal, cette communication, en s’appuyant sur une littérature historienne et anthropologique qui prend pour objet la mémoire, s’interrogera sur la place respective de ce « passé qui ne passe pas » dans ces deux contextes nationaux. Il s’agit alors d’être attentif à l’imbrication de différents jeux d’échelles, comme aux différentes méthodologie – observation ou analyse de texte –, qui mettent en lumière les rapports sociaux à l’oeuvre dans les processus liés au souvenir de la violence coloniale.
- Fabio Viti (AMU, IMAF-Aix), « Le Commandant s’en va-t’en guerre. Maurice Delafosse face à la révolte baoulé (Côte d’Ivoire, 1899-1900) »
Maurice Delafosse est bien connu pour être l’auteur d’une oeuvre historique, ethnographique et linguistique considérable, qui a fait date dans le savoir colonial produit sur l’Afrique de l’Ouest. Il l’est beaucoup moins dans son rôle ordinaire d’administrateur des colonies – notamment à ses débuts –, sauf peut-être pour les aspects qu’il a lui-même voulu mettre en lumière. Et pourtant, l’exercice du pouvoir au quotidien a constitué le terrain de culture (ou le terrain tout court) de la constitution de son oeuvre scientifique. Dans l’exercice de ses fonctions, l’administrateur célébré pour son esprit humaniste, voire son « indigénophilie », n’a pas manqué d’appeler à l’usage de la force, se mettant, le cas échéant, à la tête de « partisans » (c’est-à-dire d’hommes armés mobilisés au soutien de la cause coloniale), comme ce fut le cas dans la région baoulé après l’attaque contre son poste, à Toumodi, en septembre 1899. À la suite de cet incident, Delafosse, animé par un esprit de vengeance, n’hésitera pas à demander la suppression pure et simple de certains chefs et « meneurs » baoulé, ce qui sera fait peu de temps après, dans des conditions particulièrement troubles.
De ces faits, il ressort une attitude en contraste avec l’image courante de Maurice Delafosse, mais qui ne contredit que partiellement ses propres conceptions d’une domination coloniale assumée, qui devait miser d’abord sur la « collaboration » des populations en vue de leur « association », se débarrassant toutefois, si nécessaire, des éléments les plus « récalcitrants » et qui pouvaient contrer ce projet. Par le biais de cet épisode mineur – reconstitué à partir d’archives coloniales (Abidjan, Dakar, Aix-en-Provence) et de sources orales baoulé – une figure importante et complexe du dispositif colonial apparaît dans toutes ses facettes et avec toutes ses ambivalences.

18 janvier 2018, Santé et environnement

14h-17h, salle Georges Duby
 Moritz Hunsmann (CNRS, IRIS, Paris), « Après les maladies tropicales... les maladies du développement ? Construire une recherche sur les enjeux sanitaires liés aux pesticides en Afrique sub-saharienne »
 Guillaume Lachenal (Université Paris Diderot, SPHERE, Paris), « Histoires d’utopies médicales en Afrique coloniale »

25 janvier 2018, Conflits, violences

14h-17h, salle Georges Duby
 INTERVENTION ANNULÉE : Stéphane Audoin-Rouzeau (EHESS, CESPRA, Paris), « Le génocide des Tutsi rwandais (avril-juillet 1994) : un “au-delà” de la violence ? » -
  Michel Naepels (EHESS, IRIS, Paris) « Violence milicienne et vulnérabilité ordinaire au Katanga »
Qu’est-ce que vivre dans les régions rurales du Katanga où les milices paysannes de Gédéon Kyungu s’activent ? Qu’est-ce qu’être agriculteur, cultivateur, quand on peut devoir quitter son village ou ses champs d’un jour à l’autre, ou voir son très peu de richesse pillé ? Il faut ici décrire non seulement les formes et les ancrages symboliques de la violence milicienne, mais aussi les conditions sociales de la vulnérabilité, et de la violence structurelle, en s’intéressant à leur distribution inégale, ce qui nécessite de proposer une analyse ancrée dans la description de la singularité de cas, de lieux, de moments, de situations. C’est alors aux temporalités des économies domestiques ordinaires qu’on doit s’intéresser, en partant de l’expérience des cultivateurs et des cultivatrices.

8 mars 2018, État, gouvernance
14h-17h, salle Georges Duby
  Marielle Debos (Université Paris Nanterre / Institut des sciences sociales du politique), « Impunité masculine et (dé)politisation des violences sexuelles au Tchad : l’affaire Zouhoura »
En février 2016, le viol d’une lycéenne par des fils de ministres et d’officiers supérieurs déclenche une mobilisation sans précédent dans plusieurs villes du Tchad. La recherche s’attache à montrer les processus de politisation et de dépolitisation des violences sexuelles au cours de la mobilisation et lors du procès des violeurs. Quelles dimensions de la violence ont été rendues visibles ? Lesquelles ont au contraire été invisibilisées ? La recherche montre la concurrence entre plusieurs registres : la condamnation morale, la dénonciation du viol comme violence politique (Zouhoura devenant un symbole de la nation violée par le régime) et la politisation des violences sexuelles. Elle conclut que si l’affaire Zouhoura a permis une politisation de l’impunité des « intouchables », elle a largement invisibilisé la dimension genrée des violences sexuelles.
  Benoît Beucher (Délégation du patrimoine de l’état-major de l’armée de Terre, IMAF-Paris), « Maîtrise du temps et gouvernement des hommes dans le Moogo : une approche historique de la formation de l’État dans l’actuel Burkina Faso »
La gestion politique du temps n’a pas été la seule préoccupation des acteurs européens du moment colonial dans le Moogo. Cet espace, réunissant d’anciens États royaux mossi, était dominé par une noblesse pour qui assurer l’ordre temporel a été une condition fondamentale d’exercice de son pouvoir et de son autorité. Toute brutale qu’ait été la conquête coloniale française, on peut douter qu’elle ait définitivement mis un terme aux régimes temporels qui réglaient jusque-là la vie politique et sociale. Si des disciplines temporelles aux formes inédites ont bien été mises en œuvre à partir du XIXe siècle, si l’indépendance a également porté ses propres temporalités, le tout sur fond d’apparition de nouveaux moyens de régulation du temps (presse, radio, télévision, automobile, etc.), nous montrerons que ce qu’il est advenu des anciens rapports au temps et au pouvoir sur la longue durée a été l’une des grandes intrigues de l’histoire de l’émergence de l’État contemporain dans l’actuel Burkina Faso.

5 avril 2018, Langues, Littératures
14h-17h, salle Georges Duby
 Elara Bertho (CNRS, LAM, Bordeaux), « Une figure d’interprète en Guinée à la fin de la période coloniale (Djiguiba Camara, Histoire locale, 1955) »
À partir de l’exploration des archives privées de l’historien Yves Person et de séjours de terrain, nous proposons de retracer le parcours de l’un de ses informateurs les plus importants, resté pourtant méconnu : il s’agit d’un chef de canton, Djiguiba Camara, interprète et auteur d’une longue chronique portant sur sa région (Histoire locale, rédigé 1955, non publié). Entre archive, histoire et littérature, il s’agira de montrer l’importance de cette source écrite pour Yves Person, mais également pour l’auteur lui-même, qui tirait prestige et autorité de la maîtrise de son savoir, au sein de son village et dans ses relations avec l’administration coloniale.
 Mélanie Bourlet (INALCO, Llacan, Paris), « Bakary Diallo : un autodidacte dans la Grande Guerre »
Bakary Diallo (1892-1978) est un écrivain sénégalais autodidacte. Il publie en 1926 à Paris un récit autobiographique intitulé Force-Bonté qui fera l’objet de vives polémiques à une époque fortement marquée par le développement d’une littérature africaine francophone, combative et anti-coloniale. À la lumière de son parcours mais également de son œuvre (peu connue), il s’agira donc de poser l’hypothèse que le caractère autodidacte de cet auteur fut à la fois la raison de sa mise à l’écart (puis son oubli) dans la littérature africaine francophone, mais également une posture littéraire, axée sur le décentrement, lui ayant permis de construire un projet original et décalé pour son époque, passé inaperçu pour des raisons politiques. Dans quelle mesure cet auteur, qui fut considéré comme passéiste et fin de série, est-il aujourd’hui d’une grande actualité ?

17 mai 2018, Oral, écrit
14h-17h, salle 1
 Anaïs Wion (CNRS, IMAF-Ivry), « La tradition orale des patriciens d’Aksum (Ethiopie) : mémoire d’un groupe, rituels d’une cité, histoire nationale »
La ville sainte d’Aksum, située aux marges septentrionales du royaume chrétien d’Ethiopie, s’est construit une identité et une histoire très spécifiques de part son double statut paradoxal de coeur politico-religieux de la mythologie chrétienne et d’espace géographiquement très excentré du domaine royal (XVe-XVIIIe s.). À un travail d’analyse des textes produits par et pour le clergé d’Aksum, il s’est avéré nécessaire d’adjoindre une collecte de traditions orales auprès de différents représentants des communautés citadines et agricoles (menée en 2009, 2013 et 2014). Celle-ci a révélé une administration laïque de la ville, confiée aux balabat (litt ; "ceux qui ont un père"), aristocrates patriciens détenteurs de privilèges fonciers et de responsabilités collectives. Leur mémoire sociale, transmise uniquement par oral, semble au premier abord dissociée de la tradition écrite servant l’administration religieuse de ce territoire. Pourtant, on verra que les effets de feed back entre ces deux vecteurs mémoriels sont nombreux. De plus, la spatialisation très forte de cette mémoire, en raison notamment de la présence de ruines et des nombreux rituels menés dans la ville, participe, si ce n’est à l’homogénéisation, à tout le moins au partage de ces traditions mémorielles.
 Dominique Casajus (CNRS, IMAF-Ivry), « Transmission orale, transmission écrite : une fausse opposition ? »
Les travaux de Milman Parry et Albert Lord sur Homère puis sur les bardes serbo-croates ont initié un mouvement d’idées et de recherches connu dans le monde anglo-saxon sous l’appellation de Oral-Formulaic Theory. Peut-être à cause de son dogmatisme excessif, cette théorie avait à peu près disparu du paysage universitaire depuis une vingtaine d’années. Or des travaux récents montrent que les hellénistes sont en train de reprendre sur nouveaux frais l’examen des propositions de Parry et Lord. Et, de toute façon, tout ethnologue intéressé par les faits d’oralité doit connaître les débats auxquels cette théorie a donné lieu et les questions qu’elle a soulevées.

7 juin 2018, Économies, échanges
14h-17h, salle Georges Duby
 Céline Lesourd (CNRS, Centre Norbert Elias, Marseille), « Ces mains vertes du khat, un arbre est-ethiopien dans une treille globale »
En Éthiopie, la consommation des feuilles de khat est longtemps restée cantonnée à son berceau végétal, à l’est du pays, dans la région productrice de l’Harargué ; une mastication à la recherche de propriétés stimulantes alors circonscrites aux populations harari, oromo, et somali essentiellement musulmanes. Depuis la fin des années 1990, les « feuilles d’Allah » se sont essaimées hors de leur espace et de leur aéropage confessionnel habituel pour devenir un phénomène transculturel ; on dénombrerait dans le pays quatorze millions de mâchoires potentielles, musulmans et chrétiens orthodoxes confondus, des hommes essentiellement – même si le vert public se féminise – parmi lesquels de plus en plus de jeunes gens. Par ailleurs, la plante locale s’est muée en marchandise globale puisqu’elle s’exporte massivement, et légalement, dans la sous-région – à Djibouti et au Somaliland. Plus loin, en Chine, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie, les bouquets suivent la cartographie molaire des diasporas somalienne, éthiopienne, djiboutienne mais aussi yéménite en se jouant de la cascade prohibitionniste des législations nationales. L’accélération de cette phyto-circulation tout azimuts, et ses contraintes, entrainent dans le « berceau » du khat d’inévitables conséquences économiques, sociales et politiques : l’argent abonde, la production explose, les identités religieuses et communautaires se (re)cristallisent sur le rameau, la manne financière du business de jade devient un enjeu de contrôle politique. A partir d’une recherche menée à Dire Dawa et ses environs, je propose de donner à comprendre certaines des répercussions locales de cette circulation globale en focalisant mon propos sur la filière de production et de commercialisation du khat, du travail des paysans dans les champs aux harangues des commerçantes juchées sur les étals des marchés.
 Samuel F. Sanchez (Université Paris I, IMAF-Paris), « Fiscalité et politique à Madagascar, du Royaume au Gouvernement général, XIXe-XXe s. » (intervention annulée)

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