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Numérisation du patrimoine dogon. L’héritage d’Abirè, prophète dogon

Digidogon : Projet européen JPICH Digital Heritage.
Juin 2018 à mai 2021.
Partenaires européens (financés) : African Studies Centre Leiden (ASCL), Institut des mondes africains (IMAF), University College London (UCL).
Partenaires maliens : Musée national du Mali, association culturelle Ginna Dogon.
Coordinateur du projet pour la France : Éric Jolly.

Digidogon : Projet européen JPICH Digital Heritage.
Juin 2018 à mai 2021.
Partenaires européens (financés) : African Studies Centre Leiden (ASCL), Institut des mondes africains (IMAF), University College London (UCL).
Partenaires maliens : Musée national du Mali, association culturelle Ginna Dogon.
Coordinateur du projet pour la France : Éric Jolly.

Ce projet vise à enregistrer, transcrire, traduire, documenter et analyser le baja ni, un cycle de chants funéraires spécifique au quart nord-est du pays dogon (Mali).

Ces chants, rythmés par des percussions, sont attribués à un aveugle dogon, Abirè, prophète légendaire et ascétique du XIXe siècle qui aurait parcouru seul une grande partie de la plaine dogon, du nord au sud, en délivrant ses prophéties, en chantant et en défiant les riches ou les puissants. Récités de nuit lors de veillées funéraires, ces chants reconstituent l’histoire de ce visionnaire et ne sont pas dissociables de l’histoire politique de cette partie du pays dogon, dominée ou pillée du XVIIIe au XIXe siècle par les chefferies peuls Bari ou par les Mossi du royaume voisin du Yatenga. Membre d’un groupe dogon « autochtone » dépourvu de pouvoir centralisé et célèbre pour ses devins ou ses visionnaires, Abirè vivait d’ailleurs sous le joug des Peuls avant d’accomplir son périple aux marges des États ou des grandes chefferies de la région.

Les chants funéraires hérités de ce prophète et de ce contexte historique sont des complaintes qui traduisent le point de vue des anciens dominés ou de ceux qui refusent tout pouvoir despotique : ils soulignent non seulement l’égalité de tous devant la mort (que l’on soit riche ou pauvre, puissant ou faible), mais aussi la précarité et la vanité de tout pouvoir. Le message qu’ils diffusent peut se résumer ainsi : la mort n’épargne personne et, aussi puissants soient-ils, les chefs ou les rois sont condamnés à disparaître et leurs pouvoirs avec eux. Ces chants de nature prophétique affirment donc que le présent ou le futur ne sera jamais la répétition du passé.

Pour les Dogon de la plaine, le baja-ni est devenu une référence identitaire forte parce qu’il évoque leur résistance à la domination des Peuls ou des Mossi ainsi que l’échec de cette domination dans un contexte de tensions grandissantes entre agriculteurs dogon et éleveurs peuls, voire entre chasseurs dogon et État malien. En outre, cet intérêt croissant des Dogon pour le prophète Abirè et pour les chants qui lui sont attribués s’inscrit dans un mouvement général de valorisation et de patrimonialisation de la culture dogon par l’Unesco et par les élites ou les associations culturelles dogon.

L’étude du baja ni exige donc, au-delà des enregistrements audio et vidéo, des recherches de terrain de nature à la fois historique, politique, anthropologique, linguistique et ethnomusicologique. En raison de la crise politique, militaire et religieuse que traverse le Mali, ces enquêtes seront menées principalement par des Dogon et elles concerneront à la fois l’histoire de la région, le personnage d’Abirè, le contenu des chants et les performances des chanteurs. À des fins de comparaison, enregistrements et enquêtes se feront dans différents villages et auprès de différents groupes, en débordant même sur des régions voisines où le baja ni est remplacé par d’autres chants funéraires dogon incarnant une tradition, une histoire et une philosophie politique radicalement différentes, à l’instar du baji kan. Circonscrit à une région correspondant à d’anciennes chefferies dogon, le baji kan exprime le point de vue des groupes dominants et conquérants : il célèbre sur un mode épique les chefs ou les héros d’un passé glorieux tout en transformant chaque défunt en guerrier intrépide et victorieux.