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La Musique des migrants

Appel à candidatures

BUT
Cette université d’été a pour titre : Faire de la musique dans les camps de migrants. Elle a deux objectifs :
 documenter un secteur mal étudié de l’ethnologie : la musique dans les camps de transit aujourd’hui ;
 construire une démarche comparative à partir d’observations portant sur des camps de migrants en Europe, en Afrique, dans le Moyen-Orient, aux USA.

ARGUMENT
Au mois de mai 2013, Awet Andemicael, étudiante en théologie de l’université de Yale publie sur le site de l’UNHCR un article marquant : The arts in refugee camps : ten good reasons. De la prise en charge de soi aux techniques d’apprentissage et à l’agency, ces 10 bonnes raisons visent à légitimer l’action des ONG pour la musique en raisonnant à partir des catégories de l’action humanitaire.
1. Cette université d’été renverse la perspective. Et plutôt que de partir des catégories instituées pour examiner de quelle façon elles s’incarnent dans la réalité, nous partons de l’engagement ethnographique pour examiner les processus d’institution des catégories, ce qui permet d’organiser ensuite, mais ensuite seulement, une montée en généralité à partir de la collection des cas.
2. Par ailleurs, nous examinons, au prix d’observations ethnographiques, situées et contextualisées, la façon dont la musique modifie la vie de chacun et celle des collectifs impliqués.
3. Enfin, nous questionnons l’ontologie de la musique. Nous avons déjà entériné le fait que la musique est subjective du point de vue ontologique et objective du point de vue épistémique. Cette fois, nous soumettons à l’étude la question « qu’est-ce que la musque pour qui la pratique et l’écoute ? » dans une situation d’anomie.

ANCRAGES SITUATIONNELS
Bien des chercheurs qui analysent les pratiques artistiques dans des camps se ont d’abord vécu ces situations par un engagement citoyen. Dans ces situations extrême, ils ont rencontré « la musique », et ceux qui la faisaient. Dès lors, ces migrants qu’un élan compassionnel faisait prendre pour « de pauvres malheureux » devenaient dans le regard de l’ethnographe, par la force de la performance musicienne, par les habiletés incorporées et les références culturelles actualisées, des artistes virtuoses.
Dans des contextes qui rendent toute communication verbale difficile en raison de l’étanchéité des langues, la musique et la danse restaurent une forme de symétrie de l’échange. Mais alors, pourquoi la musique, alors que chacun se trouve « maintenu là, dans l’inachèvement d’un parcours de mobilité, ni immigré ni émigré mais suspendu en migration » (M. Agier, 2014) ? Nous abordons cette question par des études de cas.

ETUDES DE CAS
El Paso, Texas / Ciudad Juárez, Mexique
Chaque jour, des étudiants et des musiciens professionnels de Ciudad Juárez (« Ville la plus dangereuse du monde », 2010) traversent la frontière américano-mexicaine à El Paso. Ils vont au Texas jouer de la musique traditionnelle arabe. Cela date de 2009 quand trois percussionnistes mexicains cherchèrent à tirer profit du spectaculaire développement des spectacles de danse du ventre. Mais bientôt, nos trois musiciens se mettent en quête d’une meilleure compréhension de ces musiques. Ils sollicitent l’aide des migrants syriens. Mais ce qui devait n’être qu’un simple échange musical change de nature lorsque les musiciens de Juárez et de Syrie découvrent qu’ils ont aussi en partage le traumatisme d’une migration forcée. Alors ces musiciens forment des ensembles qui deviennent des icônes. Leurs performances attirent l’attention sur les épreuves et la violence subie par les personnes condamnées à la migration, aussi bien au Moyen-Orient qu’à la frontière américanomexicaine.
Les musiciens de Juárez font aujourd’hui la queue aux postes de contrôle, subissent des fouilles dégradantes, traversent le « mur de la frontière » érigé en symbole de l’inhospitalité pour jouer à El Paso avec des ensembles composés de migrants., de Dreamers (Deferred Action for Childhood Arrivals – Action différée pour les enfants arrivants, DACA) et de réfugiés venus du Mexique, mais aussi du Salvador, Puerto Rico, la République Dominicaine, Jordanie, Palestine et Syrie. Ces musiciens trouvent refuge grâce à la musique en dépit de la xénophobie encouragée par l’administration américaine actuelle, qui les affecte tous d’une façon similaire. Cette solidarité conduit à de surprenants concerts : un concert de musique arabe et juive ; un concert de migrants pour une communauté de l’extrême-droite radicale ; un concert collaboratif avec la fanfare de la Première Division Blindée de l’Armée américaine, une fanfare que les migrants conseillent musicalement en vue d’une mission diplomatique en Iraq. Grâce à la musique, chacun tient debout et questionne le préjugé.
M’Bera, Mauritanie
Février 2012. Les habitants du Nord Mali fuient le conflit armé. L’UNHCR installe 400.000 réfugiés Touaregs et Arabes aux frontières de la Mauritanie, de l’Algérie, du Burkina Faso et du Niger. M’Berra est le plusimportant : 80.000 personnes. Ici, le quotidien s’organise. Au- delà des questions sanitaires et nutritionnelles, il y a le désir partagé de célébrer des événements en commun. Il n’y a pas de tabaski sans musique, ni de fin de ramadan. Le tinde et l’imzad sont fabriqués sur place. Il y a aussi des « soirées guitare ». Tout le monde danse et frappe des mains. Mohamed Issa ag Oumar est là. C’est LE guitariste du groupe Tartit, fer de lance avec Tinariwen de la musique touareg sur la scène de la World Music. Il a apporté sa guitare. On branche des amplis sur les batteries des voitures. Ici s’émancipe une économie de la World Music à visée interne, au sein du camp.
Oio, Pays Basque
En 2017, le programme Nouveaux commanditaires de la Fondation de France a lancé la création d’un atelier musical pour migrants à Oio, petite localité du Pays Basque d’Espagne, près de Vitoria Gasteiz (Alava). Pendant une année, la musicienne du groupe Mursego, Maite Arroitajauregi, et la chorégraphe Idoia Zabaleta, ont dirigé un atelier à destination des migrants qui se trouvaient dans cette localité. Le moyen ? Chacun apportait avec lui « sa musique », et chacun apprenait la musique de l’autre. Le résultat ? Un CD 100% Oion (100% fabriqué à Oio) où les migrants chantent en basque et les basques en toutes les langues. Et une mobilisation de toute le village, les habitants organisant spontanément des ateliers d’Origami pour fabriquer de belles pochettes de disques en papier recyclé pour aider à la diffusion de ce projet.
http://www.eitb.eus/eu/irratia/euskadi-irratia/programak/faktoria/osoa/4764829/oionkomandatarioak-musikazelkarbizitzen-mursego-eta-idoia-zabaletarekin
Burj al-Barajné, Liban
Le groupe de rap palestinien Katibé Khamsé est né dans le camp de Burj al-Barajné. Pendant 10 ans,
l’ethnologue Nicolas Puig (IRD) et le réalisateur Justin de Gonzague ont suivi ces réfugiés qui mettent leur
art au service de la « cause palestinienne » et délivrent un message de critique sociale et politique scandé dans des boucles musicales obtenues par l’échantillonnage de musiques orientales ou occidentales et de productions palestiniennes. Aujourd’hui, le groupe est exilé en Europe. Entre reformulation culturelle et esthétique inédite, cette trajectoire met en lumière le renouvellement des codes partagés dans les productions de l’exil palestinien.
Calais, France
La violoncelliste britannique Vanessa Lucas-Smith est allée dans le camp de La Lande à Calais. Elle a
partagé sa musque avec les migrants qui ont fait don de musique en retour. Que peut nous dire ce partage de musique dans un camp ? Kasper scande son rap sur sa vie à Baghdad : « I talk about my home. I talk about the blood, the constant explosions, the poverty and the death ». Cela fait une année qu’il a tout quitté. Le voici en 2015 dans la jungle de Calais. À Baghdad, il avait publié une vidéo dans laquelle il dénonçait en musique les dangers au quotidien et accusait le gouvernement de corruption. Les menaces de mort suivirent. Il partit. A Calais, il rencontre Vanessa Lucas-Smith. Un noyau se forme autour d’eux, des ateliers sont en place, des musiciens se révélèrent parmi les migrants. Cet ensemble hétéroclites de musiciens venus de partout et de poètes inspirés travaille pendant une année encore. Puis, ils enregistrent leur album The Calais Sessions : 20 musiciens issus du camp épaulés par des professionnels venus de toute l’Europe. Veux-là avaient apporté des Dafs kurdes et des darboukas, et « ce fut comme apporter de la nourriture ». Des ingénieurs se révèlèrent aussi dans le camp. Du matériel fut trouvé : un album existe aujourd’hui, ce sont Les Séances de Calais. Et voici le N°12 de l’album en tête des iTunes world music charts et du site de musique indépendante Bandcamp. Une économie s’est formée. Et pour ces migrants qu’on regarde comme des musiciens désormais, créer devient une priorité.

PRODUCTION SCIENTIFIQUE (en partenariat avec Les Cahiers d’Ethnomusicologie)
Les candidats à l’Université d’été sont invités à présenter un projet de 2 pages abordant l’une des thématiques. Huit projets seront choisis (Groupe A). Chacun donnera lieu à un texte d’une dizaine de pages qui sera mis en ligne dans l’espace collaboratif. Lors de l’université d’été, les textes seront présentés et commentés par 8 autres participants (Groupe B). Nous constituerons ainsi des binômes auteur / exégète.
Les participants qui le souhaitent pourront écrire ensemble un article qui sera soumis pour publication aux Cahiers d’Ethnomusicologie (Laurent Aubert, Genève). Langues de l’article : français, allemand ou anglais.

CANDIDATURE
Le dossier de candidature doit comprendre :
 un CV ;
 une présentation du projet de doctorat, de master ou de post-doc ;
 une proposition d’intervention (2 pages) en lien avec l’Université d’été.
Le dossier de candidature doit parvenir à l’adresse : dlaborde@msh-paris.fr La sélection sera faite en fonction de l’adéquation thématique entre les propositions d’intervention et l’Université d’été.
Date limite de renvoi des dossier : 3 juillet 2018 / Sélection des candidats : 5 juillet 2018

Andrea Shaheen Espinosa, UTEP (USA), alshaheen@utep.edu
Raimund Vogels, Uni-Hildesheim, raimund.vogels@hmt-hannover.de
Denis Laborde, CNRS-EHESS, denis.laborde@ehess.fr