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Penser le temps et construire l’histoire de l’Afrique

Séminaire des doctorants de l’IMAF (site Malher) organisé par Olivia Adankpo, Hadrien Collet, Clélia Coret et Héloïse Kiriakou.

Année universitaire 2013/2014
Périodicité : Tous les 2e jeudi du mois, 16h00-18h00
Localisation : Site Malher / 9 rue Malher, 75004 Paris / Salle 106
Calendrier : 13 février, 27 mars, 10 avril, 15 mai, 5 juin 2014

Séances

 13 février 2014
Séance d’introduction par les organisateurs
Discussion autour de deux articles :
1) Jean Boulègue, « Temps et structures chez un historien tombouctien du XVIIe siècle », Afrique et histoire, 2004, n° 2, pp. 97-108.
2) Arlette Farge, « Penser et définir l’évènement en histoire. Une approche des situations et des acteurs sociaux », Terrain, 2002, n° 38, pp. 67-78.

 27 mars 2014
Penser le temps en histoire. Entretien avec Nicolas Offenstadt (Maître de conférences à l’Université Paris 1).

 10 avril 2014
Hadrien Collet (Paris 1/IMAF)
Quelques réflexions sur la manière de penser et conceptualiser le temps en histoire du Soudan occidental médiéval

 15 mai 2014
Olivia Adankpo (Paris 1/IMAF)
Le temps du moine. Structures temporelles et conceptions de l’histoire dans le récit de Yohannes de Dabra Maryam (Éthiopie, XVe siècle)

 5 juin 2014
Héloïse Kiriakou (Paris 1/IMAF)
Réflexion sur l’usage de l’événement en histoire de l’Afrique : l’exemple de la révolution congolaise de 1963 (titre provisoire)

Présentation

Ordonner le temps, telle semble être la tâche qui incombe à l’historien. Qu’il s’agisse de la construction d’une chronologie, de ses efforts pour dater ses sources ou de son positionnement dans l’historiographie, le rapport de l’historien au temps est constant. Ce rapport et cette recomposition du temps revêtent des formes complexes et variées. En effet, si certaines recherches historiques s’attachent à retracer minutieusement des « évènements » brefs et exceptionnels, d’autres études usent de cadres temporels beaucoup plus longs. Chacune de ces pratiques se heurtent à des obstacles spécifiques, selon que l’on s’attache à décrire un fait ponctuel dans une temporalité nécessairement courte ou à analyser des faits dans la longue durée et, entre ces deux exemples d’usages de la temporalité, il en existe bien d’autres. L’historien ne peut se défaire d’un souci constant du temps. La question du temps relève d’une obsession, comme le souligne Ousmane Sembène, qui qualifie les historiens de « chronophages ». Les historiens « mangent le temps en le disciplinant ; ils réduisent la multiplicité des discours et le chevauchement multiple, bigarré et tout en zigzag des évènements. Par cet aplatissement, ils rendent, paradoxalement, le temps et l’évènement sans importance [1] ». L’histoire faite par les historiens peut parfois être perçue comme une entreprise de « lissage » des voix souvent discordances qui émanent des sources. Mais dire cela, c’est oublier les conflits qui se sont joués chez l’historien (entre temps de la source, de l’historiographie et de l’historien) au moment de l’écriture de l’histoire. C’est sur la question du rapport au temps complexe et intrinsèque à la discipline historique que ce séminaire souhaite se consacrer, en apportant une réflexion centrée sur l’histoire de l’Afrique. En effet, la question des usages de la temporalité dans l’élaboration de l’histoire des sociétés africaines soulève des problèmes spécifiques que ce séminaire cherchera à approfondir.

Pour penser le temps et proposer un découpage du temps de l’histoire il faut le structurer et, pour ce faire, l’historien a besoin d’outils, de référentiels et de concepts. La constitution de divisions chronologiques ou le recours aux calendriers pour structurer l’histoire de l’Afrique sont autant de démarches problématiques. À côté du calendrier musulman ou chrétien, d’autres outils de découpage du temps ont coexisté comme en témoigne, par exemple, la complexité des structures temporelles des chroniques sahéliennes. Ainsi les spécialistes de l’histoire africaine sont-ils quotidiennement confrontés à une pluralité de systèmes de mesure du temps (calendrier musulman, généalogies royales, calendrier éthiopien…) utilisés par les sociétés africaines. Il sera intéressant de s’interroger sur l’usage qui est fait de ces référentiels dans les chronologies et d’inscrire cette réflexion plus large sur les représentations du temps dans les sociétés africaines [2]. Ce plaidoyer émane du constat que les historiens de l’Afrique demeurent façonnés par les conceptions occidentales et européennes de la temporalité.

Ces questions sont aussi indissociables de celles des sources utilisées et construites par l’historien. C’est la lecture, la description et l’analyse méthodique des sources écrites, orales, monumentales et iconographiques qui amènent l’historien à penser le temps en périodes distinctes. L’écriture de l’histoire étant si intrinsèquement liée à l’existence de traces matérielles qui peuvent être datées, qu’il est parfois impossible de saisir l’histoire de certaines sociétés africaines avant le XIXe siècle sans le recours aux traces archéologiques. Ainsi, et afin de pouvoir retracer l’histoire de sociétés dépourvues de culture écrite, les historiens ont eu recours aux enquêtes orales. Ce qui explique et a expliqué le succès des études sur les traditions orales de l’Afrique. Toutefois, l’usage des traditions orales en tant que sources pose des difficultés certaines à l’historien, ne serait-ce qu’en termes de chronologie. Aussi le recours aux sources orales nécessite-il aussi un patient et laborieux travail de déconstruction et ne peut fournir qu’un éclairage limité des sociétés plus anciennes.

La présence de matériaux textuels et épigraphiques parfois très anciens en Afrique de l’Ouest, du Nord et de l’Est entraîne également des questionnements spécifiques. Certains documents donnent à voir, ou plutôt à lire, des périodisations et des conceptions du temps originales. C’est le cas, en particulier, des chroniques et des textes historiographiques de l’Islam médiéval, des États de la boucle du Niger, du Kanem Bornou, de la côte swahili ou de l’Éthiopie. Les auteurs des chroniques de l’Islam médiéval proposent ainsi un découpage et une recomposition du passé. Les événements d’un règne sont mis en récits dans le cadre d’un véritable projet politique et historiographique [3]. Dans cette perspective, il s’agit pour l’historien de rendre compte, de comprendre et d’interpréter ces conceptions différenciées et construites du temps et de l’histoire.

Enfin, une remarque plus générale peut être faite sur la prégnance du paradigme de la colonisation pour penser les ruptures et les continuités de l’histoire de l’Afrique. N’évoque-t-on pas constamment l’« Afrique précoloniale », « coloniale » et « postcoloniale » ? Ne faudrait-il pas revoir cette tripartition facile mais parfois peu pertinente ? Concevoir l’histoire au seul prisme du fait colonial comporte de nombreux risques, celui de ne pas saisir les transformations des sociétés africaines qui précèdent l’arrivée des Européens, de rendre compte de façon inadéquate de l’évolution de territoires peu affectés par la colonisation (l’Éthiopie en particulier), de surévaluer la place de l’histoire contemporaine et du temps présent dans l’histoire des régions africaines. Surtout ce découpage prolonge une vision de l’Afrique enfermée dans un temps long a-historique jusqu’au XIXe siècle qui connaîtrait de brutales accélérations de son histoire lors du moment colonial et postcolonial. Notons tout de même la volonté d’historiens de plus en plus nombreux d’inscrire l’Afrique dans une histoire dynamique du monde et de souligner les interdépendances entre les mondes européen, asiatique, américain et africain.

Afin de poursuivre cette réflexion sur la construction de l’histoire de l’Afrique à travers l’analyse des usages du temps fait par les historiens, des doctorants en histoire de l’IMAf proposent d’aborder de façon concrète cette réflexion sur le temps à partir des travaux en cours des jeunes chercheurs de l’institut. Un appel à communication sera prochainement lancé pour inviter les doctorants de l’IMAf à participer à ce séminaire. Ces communications seront proposées pour les séances programmées à partir du mois de septembre 2014. Enfin, si ce séminaire a été élaboré par des doctorants en histoire, il reste toutefois ouvert aux chercheurs des autres disciplines afin de nourrir les échanges sur cette thématique en diversifiant les approches et les questionnements.


[1Mamadou Diouf, « Des Historiens et des histoires, pour quoi faire ? L’Histoire africaine entre l’état et les communautés », Revue Canadienne des Études Africaines, 2000, vol. 34, p. 341.

[2Les travaux de la géographe Anne Ouallet sur les processus de patrimonialisation dans les villes africaines de Tombouctou, Djenné, Aksum et Lalibela mettent en évidence les tensions entre temporalités religieuses, économiques et sociales dans un contexte de valorisation urbaine du passé. OUALLET Anne, « Patrimoine et temporalités dans les villes africaines du patrimoine mondial : exemples maliens et éthiopiens », Espace populations sociétés, 2007/2-3, pp. 317-331.

[3Voir l’analyse fine des temps du récit du Tarʾriḫ al-Sūdān par Jean Boulègue dans « Temps et structures chez un historien Tombouctien du XVIIe siècle », Afrique & Histoire, 2004, n° 2, pp. 97-108.