Home > News > Ailleurs

Patrimoine écrit en situation coloniale : un contre-exemple du grand partage ?

Cette séance exceptionnelle du séminaire « Archives du patrimoine écrit » est consacrée à un regard croisé entre la situation et les transferts de compétences et de fonctions, entre archives et bibliothèques, dans le cadre de l’administration coloniale du moment de la production de l’information à sa mise en archives définitive.

Ann Laura Stoler, Willy Brandt Distinguished University Professor of Anthropology and Historical Studies à la New School for Social Research de New York City, auteur notamment du livre Along the Archival Grain : Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense (Princeton, 2009), traduit en français en mars 2019 aux éditions de l’EHESS, sous le titre Au cœur de l’archive coloniale, nous fait l’honneur de bien vouloir présider et discuter cette séance.

PROGRAMME

14 h 30 -17 h 30

  La Direction des archives et bibliothèques d’Indochine : patrimoine, savoir, pouvoir en contexte colonial , par Fabienne Chamelot

Cette présentation propose d’explorer l’histoire de la Direction des archives et bibliothèques d’Indochine dont l’organisation et le fonctionnement constituent un cas unique au sein du domaine colonial français. Mise en place par l’archiviste-paléographe Paul Boudet en 1917, la DABI, au fil de son développement, se déploiera en un service englobant archives, bibliothèques (administratives et publiques) et dépôt légal, et prendra la forme d’une administration ultra-centralisée aux procédures standardisées et normées implantées dans l’ensemble des services, notamment par des dizaines d’archivistes formés par Boudet lui-même ainsi que les archivistes européens travaillant sous sa supervision.
L’ambition et l’efficacité de la DABI, dès le début des années 1920, la démarquent remarquablement des autres services d’archives des colonies françaises, beaucoup plus chaotiques, sauf rares exceptions. Cela est le résultat des méthodes d’exercice du pouvoir que l’administration française mit en place pour s’imposer sur place et contrer les résistances à la colonisation. En Indochine, la méticulosité et la vocation exhaustive de la DABI, administration à vocation culturelle, trouva en effet écho dans la logique bureaucratique du pouvoir français évoluant dans un contexte où l’administration vietnamienne, préexistant à la colonisation, devait être contrôlée et où la résistance à la colonisation se fit très tôt précisément dans le domaine de l’écrit et de ses circuits de diffusion.
S’appuyant sur des sources provenant des ANOM, des Archives nationales du Vietnam et de fonds privés, cette présentation explorera les liens entre structure des archives et structure administrative. Par extension, il s’agira de s’interroger sur la spécificité ou non de « l’archive coloniale » par rapport aux autres types archives administratives dans l’exercice du pouvoir.

Fabienne Chamelot est doctorante à l’Université de Portsmouth en Grande-Bretagne. Son travail porte sur l’histoire de l’organisation des archives dans l’empire colonial français de 1894 aux indépendances, notamment en Indochine et AOF. A travers l’exploration de ces fonds d’archives, sa thèse interroge les liens entre pouvoir, souveraineté et gouvernance en contexte colonial.

  L’émergence d’un service d’archives dans la colonie de Madagascar (1896-1960), par Charly Jollivet

Dès l’effondrement de la monarchie en 1896, les archives royales merina sont saisies par le colonisateur. Si leur transfert à Tananarive tarde à se concrétiser, c’est bien, quelques années plus tard, sur ce socle archivistique antérieur à la colonisation que s’appuie le tout nouveau service d’archives colonial, d’abord associé à une bibliothèque. Une réglementation ne tarde pas à apparaître de sorte à donner un cadre d’exercice et à définir des procédures de gestion d’archives, particulièrement ambitieuses. L’uniformisation des pratiques et la centralisation des archives sont demandées. Mais, si la création d’un service d’archives intervient particulièrement tôt à Madagascar, comparativement à de nombreuses autres colonies françaises, ce service d’archives demeure très fragile et disparaît rapidement avant de renaître une première fois dans les années 1930. Suivent d’autres épisodes de déclin avant qu’au milieu des années 1950 soient posées les bases des archives nationales actuelles. Que sait-on des archives de cette époque, de leur sort, de la manière dont elles sont gérées, du personnel qui est à l’œuvre, des usages qui en sont faits ? Ces questions ont été évoquées au cours d’un récent travail doctoral consacré à la question des archives des territoires issus de l’ancienne colonie de Madagascar et dépendances. Nous proposons ici de fournir quelques éclairages.

Docteur en archivistique, Charly Jollivet est l’auteur d’une thèse intitulée : Archives, archivistique et logiques d’usage dans les territoires issus de la colonie de Madagascar de 1946 à nos jours (2016). Navigant entre les archives et la recherche, il a notamment été en poste aux archives départementales de Mayotte, à l’université d’Angers et travaille désormais aux Archives nationales.

  Le dépôt légal colonial à la Bibliothèque nationale de l’entre-deux-guerres aux indépendances, par Anne Leblay-Kinoshita

En 1537, François Ier signe à Montpellier une ordonnance portant obligation pour tout imprimeur ou éditeur exerçant en France de déposer à la Bibliothèque nationale ses publications. Les collections actuelles de la Bibliothèque nationale de France sont ainsi pour partie le résultat de ce dépôt. Or la consultation du catalogue général de la Bibliothèque nationale peut laisser le lecteur perplexe dès lors qu’il tente d’identifier les ouvrages ou les titres édités ou imprimés dans les colonies.
Cette présentation succincte a donc pour objet, en s’appuyant sur des documents d’archives de la Bibliothèque, d’évoquer la mise en œuvre complexe et tardive du dépôt légal des publications dans les colonies à la Bibliothèque nationale.

Anne Leblay-Kinoshita est cheffe de la mission pour la gestion de la production documentaire et des archives, Bibliothèque nationale de France.

  Les Archives nationales d’Outre-Mer : partages d’archives et mémoires partagées , par Isabelle Dion

Les ANOM conservent les archives de la présence française outre-mer des origines de la colonisation française aux indépendances. Il s’agit à la fois des archives des ministères qui ont eu en charge les colonies et l’Algérie et des archives rapatriées de ces territoires. Il n’y eut jamais de coordination entre tous ces services et chacun a créé son propre cadre de classement dont les ANOM ont hérité. De fait il existe plus d’une vingtaine de cadres de classement différents aux ANOM. Les fonds d’archives tels qu’ils sont conservés à Aix sont le reflet d’une histoire mouvementée. Les archives en métropole ont suivi les aléas de l’administration coloniale et il faut attendre 1920 pour que naisse enfin un véritable service d’archives. Les archives territoriales ont longtemps eu une existence précaire . Selon les territoires de véritables service d’archives n’ont vu le jour qu’au début voire au milieu du XXe siècle, parfois juste quelques années avant les indépendances. Aujourd’hui l’accent est mis sur les relations avec les anciennes colonies, plus ou moins simples selon les territoires. La notion de "mémoire partagée", qu’il faut définir, a émergé depuis quelques années.

Isabelle Dion est conservatrice générale du patrimoine, en charge par intérim de la direction du service à compétence nationale des Archives nationales d’Outre-mer.

A propos du séminaire de recherche Archives du patrimoine écrit / Patrimoine écrit des archives

En partenariat avec les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France

Avec le soutien du Labex Cap

Sous la direction d’Anne Leblay-Kinoshita, cheffe de la mission pour la gestion de la production documentaire et des archives, Bibliothèque nationale de France (BnF), et de Yann Potin, chargé d’études documentaires aux Archives nationales (AN).

Archives et bibliothèques constituent deux modes de conservation et de valorisation des documents écrits. Tout se passe comme si le patrimoine écrit et le patrimoine archivistique étaient deux entités parallèles s’ignorant mutuellement. Ce dispositif contradictoire est le produit d’une histoire que le séminaire « Archives du patrimoine écrit / Patrimoine écrit des archives » entend aborder à partir de la formation et des pratiques professionnelles, des enjeux politiques et juridiques et des fonctions assignées à la mise en archives et à la collecte des documents écrits. Dans le prolongement des séances dialoguées de l’année 2018, le séminaire élargit la comparaison des pratiques et conceptions du patrimoine écrit dans l’espace national et européen, avec un regard spécifique sur les mutations contemporaines consécutives à la numérisation des supports de description et de diffusion des archives et du patrimoine écrit. Chaque séance inclura l’analyse d’un dossier d’archives particulier ou une question historiographique, en lien avec l’histoire de la patrimonialisation de l’écrit et des archives.

Inscriptions et informations pratiques

Pour assister aux séminaires, l’inscription est obligatoire :formulaire d’inscription

Le jeudi de 14h30 à 17h30
INP - Salle Champollion-Buffon
2 rue Vivienne
75002 Paris

Pour plus d’information, contacter Emilie Maume, chargée des manifestations culturelles et scientifiques : manifestations.scientifiques@inp.fr