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Les dynamiques de l’islam dans les lieux de l’enseignement supérieur au Sénégal

Soutenance de thèse de Kae Amo
Directeurs de thèse (cotutelle) : Jean-Pierre Dozon (IRD, EHESS) et Gora Mbodj (UGB de Saint-Louis, Sénégal).

Le 19 avril 2019, à 15h, EHESS, salle de réunion de l’IMAF, 2è étage, 96 bd Raspail, 75006 Paris.


Jury :

Rapporteurs :
 Mame Penda BA, Université Gaston Berger (Sénégal)
 Souleymane Bachir DIAGNE, Columbia University (États-Unis) - en visioconférence

 Jean-Pierre DOZON, IRD, EHESS
 Eloi FICQUET, EHESS
 Omar GUEYE, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)
 Fabienne SAMSON, Institut de recherche pour le développement (IRD)


Résumé :

Depuis la fin des années 1980, les mouvements religieux, musulmans pour la plupart, sont particulièrement visibles dans les sphères politiques sénégalaises mais aussi au sein des différents établissements d’enseignement supérieur. Autrefois caractérisés par la présence du militantisme politique de gauche, les milieux universitaires sont aujourd’hui occupés par les croyants. Les jeunes disciples mourides ou tidjianes, ou encore sûnites, emplissent les différents espaces au sein du campus, où ils organisent conférences islamiques, cours de Coran et séances de prière. En outre, un secteur d’enseignement islamique privé émerge en dehors des universités laïques. Basée sur un travail de terrain de longue durée, notre étude vise à mettre en lumière ces différentes dynamiques religieuses au sein des lieux d’enseignement supérieur.

Cette thèse s’articule en deux parties : la première consiste à étudier la construction historique des différentes figures de lettrés musulmans et leurs lieux de savoirs-pouvoirs au Sénégal ; la deuxième analyse la vie religieuse des « étudiants musulmans » d’aujourd’hui, ainsi que leurs sphères d’expression à la fois académique et religieuse.

Notre analyse sur la transformation des figures de lettrés musulmans, depuis un demi-siècle, montre que la nouvelle génération se compose davantage d’individus issus de la classe populaire, à la différence de l’ancienne génération des années 1960 et 1970, regroupant surtout des militants des idéologies de gauche et des membres de l’élite universitaire ou religieuse. Les nouveaux types de mouvements religieux adoptent une forme idéologique conforme aux exigences et aux aspirations de la jeunesse sénégalaise urbaine, plus libérale et à la recherche d’autonomie par rapport aux normes sociales et politiques fondées par la génération précédente – intellectuels francophones ou « ku jang ekool » –.

Ce travail met en exergue l’importance des nouveaux types de mouvements politico-religieux dans le contexte de la crise idéologique et sociopolitique des années 1980 et 1990, puis de l’arrivée du libéralisme politique et l’émergence de sphères politiques populaires dans les années 2000. Ce qui rassemble ces deux générations de militants est ce que nous avons appelé l’« énergie sociétale » : ils sont en effet les producteurs et les porteurs d’un modèle et d’une théorie qui répondent à la crise du monde, en même temps que les transformateurs de la société. Les nouveaux mouvements religieux proposent aux fidèles des lieux d’épanouissement qui les conduisent à participer au développement de la société, tout en s’appuyant sur les valeurs de l’islam.

Nous avons démontré, ensuite, la diversité et la transversalité de ces jeunes musulmans, véritables producteurs de dynamiques sociales et politiques. Nous nous sommes intéressée au parcours de chaque catégorie de croyants ainsi qu’à leurs liens avec leurs environnements socioculturels : université, foyers religieux ou écoles d’enseignement de l’arabe et de l’islam. Il existe aujourd’hui une grande disparité quant à la manière d’être musulman. Les jeunes croyants sont très flexibles dans leur façon d’interpréter la religion et naviguent entre différentes sphères et valeurs. Nos descriptions et analyses ont montré comment ils vivent leurs religiosités, en s’appuyant sur leurs propres valeurs de l’islam, et à travers un engagement corporel et spatial « flexible » au sein de l’université ou bien en dehors de celle-ci.

Ces musulmans lettrés que nous avons qualifiés d’« hybrides » et d’« hypermodernes » créent eux-mêmes leurs propres lieux d’expression à la fois académique et politique, indépendamment des établissements d’enseignement laïcs. Des lieux devenus aujourd’hui de véritables espaces de savoirs-pouvoirs : bibliothèques et médiathèques islamiques ; centres de recherche et d’enseignement religieux ; centres de conférences ; écoles de formation ; médias religieux, sites internet, réseaux sociaux, etc. En plus de s’autofinancer, ils restent connectés au monde académique et politique transnational, ils imposent également leurs normes et valeurs à travers l’espace national.

Enfin, étant capables de produire eux-mêmes des analyses performantes sur la société en s’appuyant sur les valeurs et les préceptes islamiques, ces lieux et ces lettrés religieux interrogent la légitimité du savoir scientifique fondé dans les milieux académiques de type occidental. En somme, cette étude consiste en une démonstration des dynamiques de l’islam au sein de la jeunesse sénégalaise capable de remettre en cause nos propres valeurs et savoirs universitaires.


Mots-clefs :

Islam, Sénégal, jeunesse, dynamiques religieuses, enseignement supérieur, études sur l’islam, mouvements politiques, islam politique, identité religieuse, savoirs-pouvoirs