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Universalisation, spiritualisation et patrimonialisation du soufisme

Séminaire de Nadège Chabloz, ingénieur d’études à l’EHESS (IMAF).

Année universitaire : 2019 / 2020
Périodicité : 2e et 4e jeudis du mois de 17h à 20h
Localisation : Campus Condorcet, salle 0.031, bâtiment Recherche Sud, 5 Cours des Humanités, 93300 Aubervilliers
Calendrier : Du 14 novembre 2019 au 12 mars 2020


Présentation :

Ce séminaire propose d’étudier les phénomènes de globalisation ainsi que les transformations sociales et culturelles qui travaillent le soufisme, également nommé « mysticisme musulman », ainsi que les pratiques culturelles qui s’en saisissent. Il s’agit de réfléchir aux processus de fabrication et de diffusion d’un « soufisme universalisé » afin de rendre compte des adaptations que connaît le soufisme en ce début de XXIe siècle, en prolongeant les débats et controverses ayant eu lieu autour du concept de « néo-soufisme » pour désigner celles du XVIIIe siècle. Même si les processus de (re)valorisation et d’adaptation du soufisme ont toujours eu lieu et diffèrent selon les contextes nationaux, l’hypothèse qui sous-tend ce séminaire est que la fabrication et la médiatisation d’un soufisme enchanté (en tant que religion inclusive, de l’amour, de la paix, des arts et de l’interculturalité) a véritablement débuté après le 11 septembre 2001 afin de présenter au monde un visage de l’islam en opposition avec celui du salafisme/wahhabisme/djihadisme, mais aussi afin de moderniser l’image du soufisme et de répondre aux quêtes contemporaines spirituelles et religieuses d’un nouveau public. L’objectif de ce séminaire est double. D’une part, il s’agira de présenter et de discuter des enquêtes ethnographiques et historiques portant sur les mobilisations sociales, les lieux et les acteurs ayant participé à « spiritualiser » le soufisme ainsi qu’à le mettre en scènes et en patrimoine. Si les animatrices de ce séminaire réalisent des enquêtes au Maroc et en France dans une perspective comparative, des enquêtes réalisées dans plusieurs pays (Maroc, Algérie, Turquie, Sénégal, France, États-Unis, Inde…) sur les divers continents et à différentes échelles seront présentées. En décloisonnant les aires culturelles, la démarche est de faire émerger des problématiques similaires à ces pays, ou de mettre au jour des particularismes liés à leurs contextes historiques, politiques et religieux. En croisant l’étude des formes de patrimonialisations à la fois officielles et ordinaires du soufisme, ce séminaire vise à observer la fabrique d’un discours sur le soufisme universalisé tout en saisissant, à partir des études de cas en contextes nationaux, les tensions entre l’universalisation et les instrumentalisations locales du soufisme. En combinant l’analyse de trajectoires de pratiquants et d’entrepreneursdu soufisme, celle de ses espaces de définition et de patrimonialisation et celle de ses réseaux mondialisés, ce séminaire veut contribuer à analyser les économies morales du soufisme, dans ses articulations du local au global, ainsi que son insertion dans les marchés globalisés de l’islam et de la spiritualité. D’autre part, seront également invités à intervenir dans ce séminaire des acteurs – porte-paroles de confréries soufies, fondateurs de festivals, de musées, d’associations, de fondations, de nouveaux lieux de culte – participant à la création des nouveaux lieux et réseaux où se déroulent les transactions contemporaines (religieuses, politiques, sémiotiques, symboliques, identitaires, économiques) liées au soufisme universalisé.


CONTACT :
nchabloz(at)ehess.fr


PROGRAMME :

 14 novembre 2019
Introduction au séminaire. Nadège Chabloz (IMAF, EHESS), "Le soufisme universalisé : nouveaux lieux, discours et pratiques"
Hajar Masbah (CETObac, EHESS), "La diffusion du soufisme en France à travers l’art et la culture : étude de cas de la maison soufie de Saint-Ouen"

Notre intervention s’exprime autour de la question de l’art et la culture devenue un moyen de diffusion et de promotion du soufisme contemporain en France. Nous nous intéressons à la question de « festivalisation » du soufisme, et à la transformation du religieux vers le culturel.
A travers une étude ethnologique d’une confrérie soufie Naqshbandi qui s’est institutionnalisée en un espace culturel nommé « La Maison Soufie », située à Saint-Ouen en Seine Saint-Denis. Nous avons observé une cohabitation du culturel et du cultuel. Cette association organise
plusieurs activités artistiques et parraine le « Festival soufi de Paris ». Notre question principale durant cette étude était de comprendre la conjonction entre le religieux et l’artistique ; d’observer les nuances subtiles entre l’organisation confrérique et l’organisation associative ;
Quelle vision la Maison Soufie porte-t-elle sur l’art et de la culture ? Pourquoi et comment utilise-t-elle ces derniers dans la promotion de ses activités ?

 28 novembre
Alix Philippon (CHERPA/Science Po Aix), "(Dé)politisations du soufisme au Pakistan dans la guerre contre le terrorisme : de la promotion d’un soufisme culturalisé à la radicalisation des soufis islamistes"

Argumentaire de la séance :
Cette séance explore la complexité de la politique du soufisme au Pakistan, Etat créé au nom de l’islam en 1947, depuis les débuts de la "guerre contre le terrorisme" en 2001. Sous le régime de Pervez Musharraf (1999-2008), le soufisme a été (dé)politisé à travers des processus de culturalisation et de patrimonialisation. Les sanctuaires et les formes d’art soufies (poésie, musique,...) ont été célébrés comme des éléments centraux de l’identité et de l’histoire pakistanaises. Le soufisme a également été redéfini et promu comme le "vrai islam" de paix et d’amour dont la nation a besoin pour contrer le terrorisme. Cependant, certains groupes et acteurs barelwis néo-soufis qui ont été patronnés par les autorités à partir de 2008 pour soutenir le combat contre les groupes radicaux ont eu tendance à brouiller la commode dichotomie soufi/extrémiste en se radicalisant à leur tour. Ces dynamiques contradictoires permettent dès lors de relativiser les catégories de "bons" et de "mauvais" musulmans (Mahmoud Mamdani) et de nuancer l’analyse de la radicalisation en termes exclusivement théologiques (soufisme tolérant versus salafisme violent).
Alix Philippon, Soufisme et politique au Pakistan. Le mouvement barelwi à l’heure de la guerre contre le terrorisme, Kathala, Sciences Po-Aix, 2011 ; Chez les soufis du Pakistan, François Bourin, 2015.

 12 décembre SÉANCE REPORTÉE AU 15 JANVIER 2020
Claire Bay (responsable des programmes et conférencière au musée du soufisme de Chatou), "Une expérience immersive au musée du soufisme de Chatou, un projet pour faire découvrir le soufisme au grand public"

Au programme de mon intervention, j’ai prévu de parler du projet de rendre le soufisme, son art et ses savoirs disponibles au grand public. J’expliquerai brièvement ce qu’est le soufisme, comment il sera présenté dans le musée et comment il entrera en dialogue avec d’autres disciplines, telles que les sciences et les arts. Enfin, je prévois de parler des personnes à l’origine du projet et de la vision portée.

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Anne-Sophie Monsinay (cofondratrice des Voix d’un islam éclairé (V.I.E.) et imame de la mosquée Sîmorgh à Paris), "Parcours soufi d’une imame et transmission d’enseignements issus du soufisme au sein de la mosquée Sîmorgh"

Mon cheminement dans l’islam et dans le soufisme m’a amenée à m’interroger sur les formes de transmission que prend actuellement le soufisme en France. Disciple d’un maître spirituel issu d’une chaîne initiatique authentique, je suis ses enseignements avec la plus grande rigueur. Cependant, je pense que le modèle traditionnel de la tariqa (voie) confrérique aujourd’hui majoritaire, constituée principalement de pratiques entre disciples, n’est plus forcément le modèle de transmission qui convient le mieux à notre époque ou du moins, des alternatives existent et pourraient être amenées à se développer dans les années à venir. En outre, on constate que la plupart des soufis ont une vision très traditionnelle des aspects socio-culturels qui entourent la pratique religieuse (la place des femmes, la tenue vestimentaire...) alors qu’il est tout à fait possible d’être à la fois soufi et progressiste. Entre soufis progressistes et soufis traditionnels, le fond est bien sûr le même, les points communs seront toujours plus grands que les différences, ces dernières portant essentiellement sur la forme et les modalités de transmission des enseignements.
Parallèlement à mon cheminement spirituel, j’ai eu à cœur d’offrir une plus grande visibilité ainsi que des lieux de cultes aux musulmans progressistes. J’ai ainsi créé en aout 2018, avec Eva Janadin, les Voix d’un islam éclairé – un mouvement pour un islam spirituel et progressiste. Un an après, nous avons ouvert la première mosquée mixte en France dont les sermons et les prières sont dirigées par deux femmes imames (Eva Janadin et moi-même), la Mosquée Simorgh. La spiritualité est au cœur de ces deux projets. Les Voix d’un islam éclairé et la mosquée Simorgh ont notamment pour objectif de transmettre des enseignements issus du soufisme ainsi qu’une compréhension approfondie du Coran au plus grand nombre, à tous les musulmans qui fréquentent notre mosquée, qu’ils soient engagés au sein d’une confrérie ou non. Nous estimons en effet qu’il est temps que le coeur de l’islam ne soit plus réservé qu’à une élite mais accessible à tous les musulmans.

Anne-Sophie Monsinay & Eva Janadin, Une mosquée mixte pour un islam spirituel et progressiste, Fondapol, février 2019
Anne-Sophie Monsinay, Soufisme progressiste, Saphirnews, mars 2019

 9 janvier 2020 SÉANCE ANNULÉE ET REPORTÉE au 30 JANVIER
Faouzi Skali (fondateur des festivals de la culture soufie et des musiques sacrées de Fès), "Qu’est-ce que la culture soufie ?"

Abd el Hafid Benchouk (directeur de la maison soufie de Saint-Ouen, Muqaddam Naqshbandi), "Faire connaître la culture soufie au plus grand nombre, y compris aux non musulmans"

Faouzi Skali et Abd el Hafid Benchouk commenceront leur intervention par expliquer comment et pourquoi ils ont créé, respectivement, le festival de la culture soufie à Fès au Maroc, et la Maison soufie à Saint-Ouen en France. La création de tels lieux et événements vise à faire découvrir le soufisme aussi bien aux musulmans qu’aux non musulmans et implique un questionnement autour de la définition de ce qu’est la "culture soufie" : la réflexion préalable à cette question est d’associer la tradition spirituelle du soufisme à la production d’une culture spécifique, propre à cette tradition, depuis plusieurs siècles et en différents lieux géographiques. Le fait d’aborder le soufisme selon cette perspective permet d’apprécier l’ensemble de ses héritages historiques et culturels comme de véritables richesses patrimoniales. Le processus de "patrimonialisation" et même d’"universalisation" dont fait l’objet le soufisme à l’heure actuelle, qui correspond à la constitution historique de patrimoines concrets du soufisme dans le temps et l’espace à travers différentes colorations culturelles et au-delà des espaces classiques de la civilisation islamique, pose un certain nombre de questions. Cette nouvelle manière d’aborder la culture du soufisme est-elle le résultat d’une influence de l’Occident et du développement en son sein de nouvelles approches et méthodologies en sciences humaines et plus particulièrement en anthropologie ? Est-elle aussi le résultat d’une volonté de faire valoir, en partage, un héritage culturel d’une grande richesse et valeur à un moment où l’Islam est réduit par plusieurs de ses propres courants à une dimension idéologique et a-historique ? Annonce-t-elle le moment où peuvent se fédérer les différentes initiatives universitaires et confrériques pour rendre compte de la richesse de la culture vivante et historique du soufisme en tant que patrimoine non seulement des musulmans, mais aussi universel ?
Quelles sont les réactions et les objections que l’on peut attendre d’une telle démarche aussi bien de musulmans que d’autres, qui peuvent considérer qu’il ne s’agit là ni plus ni moins que d’un cheval de Troie du soufisme, voire de l’islam lui-même ?
Faire connaître au plus grand nombre une telle culture ne peut-il pas cependant contribuer à diffuser un humanisme issu du monde de l’islam, compatible avec d’autres références et cultures, humanisme qui pourrait aider à l’acceptation des diversités des convictions et des croyances et apporter des réponses à la déculturation des minorités musulmanes en Occident qui rend celles-ci particulièrement captives d’idéologies identitaires et extrémistes ?

 15 janvier (voir séance du 12 décembre 2019)

 23 janvier SÉANCE ANNULÉE
Jean-Loup Amselle (IMAF, EHESS),"L’instrumentalisation politique de l’islam soufi ouest-africain contemporain"
Pour appréhender correctement cette question, il faut d’abord appréhender l’islam soufi ouest-africain et plus généralement l’islam soufi comme une construction qui s’inscrit dans une conjoncture contemporaine marquée par une forte islamophobie, elle-même en partie associée, fût-ce de façon totalement arbitraire, aux attentats et aux attaques « djihadistes » ou « terroristes » récentes dont le champ d’action s’étend désormais à la totalité de la planète.

Aziz Hlaoua (IURS, Université Mohammed V, Rabat), "Les circulations religieuses : conversion, mobilité et récits de vie. Le cas de la zaouia Quadiriya Boutchichiya"
Cette intervention portant sur les conversions au soufisme s’appuie sur une étude de trois ans (2012-2015) de récits de convertis à la zaouia Qadiriya Boutchichiya, la plus grande et célèbre confrérie soufie du Maroc.

La conversion au soufisme est représentée par une bay’a (allégeance) des disciples envers le cheikh. Le disciple converti est alors placé au service de la tarîqa (voie) et le cheikh devient le garant du Salut de son disciple. L’échange repose sur l’idée de devoirs et de droits réciproques, mais ce qui est nouveau dans la confrérie Boutchichiya, c’est le fait que le cheikh et ses proches recherchent de nouveaux disciples et fonctionnent en utilisant les réseaux sociaux et diverses technologies de communication moderne. Par exemple, des séances de communication Facebook ou WhatsApp pourraient remplacer les rituels de pèlerinage classiques.

La conversion est un domaine dans lequel la confrérie investit énormément pour réussir la procédure d’internationalisation de ses doctrines et de ses enseignements dans un monde de concurrence de l’offre religieuse. Certains convertis sont devenus des porte-parole de la zawiya, d’autres s’investissent dans des instances institutionnelles des musulmans en Europe. Le travail de la production de ces figures est un travail institué, réfléchi et contrôlé par la confrérie.

De leur côté, les convertis internationaux en mobilité construisent en récits leurs histoires, leurs nouvelles vies, leurs perspectives et philosophies. Ils produisent ainsi une connaissance à raconter, à partager. La conversion, au-delà de ses dimensions migratoires et religieuses, touche les questions liées à la production de l’autorité religieuse, à l’ordre et aux multiples dimensions politiques qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre les radicalisations violentes.

 30 janvier (voir séance du 9 janvier 2020)
salle à déterminer

 13 février
Amina Mesgguid (Université internationale de Rabat), "La diffusion du soufisme hors cadres confrériques classiques : patrimonialisation du spirituel et pratiques new age"
La présentation envisagée s’articulera, dans un premier temps, sur la production de discours contemporains de l’objet « soufisme » au Maroc dans sa dimension de patrimoine universel, et ce, en dehors des cercles confrériques classiques, plus précisément dans les festivals annuels soufis. Il est certes utile de rendre compte de ce processus contemporain de sortie du soufisme de ses lieux communs, et de ce que ceci pourrait témoigner en termes d’intentionnalités des producteurs de discours en termes de stratégies de redéploiement du soufisme globalisé.

En effet, face à l’urgence des discours et images hyper-médiatisés de l’extrémisme violent à l’échelle transnationale, corrélé massivement à l’islam, les discours relatifs au processus de patrimonialisation promeuvent le soufisme comme universel car confluent avec d’autres cultures (religieuses), et le réhabilitent par conséquent bien souvent de manière idéalisée et enchantée. Ces discours omettent, cependant, de mentionner des éléments socio-historiques relativement porteurs de conflictualité qui auraient pourtant pu servir à apporter une vision complète et transparente de l’ancrage contextuel soufi au Maroc en vue d’échanges constructifs. C’est dans cette présente logique que la majorité des tables-rondes des festivals de soufisme au Maroc font la seule promotion de « dialogues interculturels, interreligieux, du mieux vivre-ensemble, de l’égalité hommes/femmes, de l’agir positivement sur soi et sur la société contemporaine ».

Cette velléité de réhabiliter le soufisme au Maroc comme « patrimoine universel » implique, dans un second temps, qu’il n’appartiendrait plus aux seuls musulmans. A cet effet, nous notons que ces discours contemporains portant sur le soufisme en contexte marocain se recomposent aussi bien dans leurs formes que dans leurs contenus car confrontés aux dynamismes religieux transnationaux, ce qui induit que ces dynamiques ne sont pas spécifiques au Maroc seulement. Cela nous amène, par conséquent, à interroger la catégorie plus large du « New Age » dans divers terrains soufis marocains, notamment en élargissant notre objet d’étude à des retraites spirituelles dans lesquelles les brassages et syncrétismes entre cultures religieuses et sagesses universelles sont plus assumés et visibles car échappent davantage au contrôle étatique officiel. Nous nous interrogerons alors sur le glissement du soufisme de son contexte socio-historique et socio-culturel islamique, dès lors qu’il sortirait de son espace-temps traditionnel qu’est la structure confrérique.

Brahim El Khalil Tidjani (président du Cercle des souffles, représentant de la confrérie Tidjania), "Protection du patrimoine soufi : projet d’un musée du soufisme au Sénégal"
Brahim El Khalil Tidjani, cinquième petit-fils du cheick Sidi Ahmed Tidjani, le fondateur de la confrérie éponyme, est également le président du Cercle Souffles, Organisation non gouvernementale qui se définit comme "un mouvement spirituel, solidaire et apolitique dédié au soufisme et lié à la Tidjania". Cette intervention commencera par une description des origines et des caractéristiques de la confrérie Tidjania, confrérie "de migration" implantée en Afrique, en Asie, aux Etats-Unis et en Europe et qui revendique 250 millions d’adeptes. Il sera ensuite expliqué de quelle manière le Cercle Souffles participe à la diffusion, à la médiatisation, ainsi qu’à la protection et la patrimonialisation d’une certaine vision du soufisme. Enfin, l’intervention s’attardera sur le projet de création d’un musée du soufisme, initialement prévu au Maroc, et qui devrait finalement voir le jour au Sénégal.

 27 février
Marie-Nathalie Leblanc (Université du Québec à Montréal (UQAM)/Chaire de recherche sur l’islam en Afrique de l’Ouest (Chaire ICAO), "Soufisme, cosmopolitanisme et économie culturelle de la différence : le cas du Centre Soufi Naqshbandi de Montréal"

Dans cette présentation, je propose de questionner la pertinence sociopolitique de l’appel au cosmopolitisme dans un contexte néolibéral de l’après-guerre froide où les idéaux modernes de laïcité ont été profondément ébranlés et l’idée de la post-laïcité prend racine (voir Berger 1999 ; Calhoun 2007 ; Casanova 1994 ; Taylor 2007). Depuis les événements du 11 septembre 2001, la place de la religion dans le politique, aux échelles nationale et globale, semble presque inévitable. J’examinerai ici comment diverses conjonctures internationales liées au 11 septembre, en particulier la « guerre contre le terrorisme » et la résistance manifeste, souvent violente, à la domination occidentale par les musulmanEs, ont contribué à pousser ces derniers.ÉRES dans une position ambiguë face à l’Occident (voir McDonough et Hoodfar 2005 pour une analyse similaire). En effet, les musulmanEs, qui vivent en Amérique du Nord et en Europe, doivent souvent justifier leur loyauté religieuse et politique par rapport à l’islamisme et à la laïcité (voir Helly 2000, 2004 ; Renaud et al 2002).

Pour ce faire, je propose d’explorer la manière dont certains musulmanEs, membres d’un cercle soufi Naqshbandi-Hannaqi à Montréal, initient des formes de participation civique qui positionnent l’islam comme un lieu privilégié de tolérance interculturelle et d’articulation d’identités cosmopolites. L’assertion selon laquelle la tradition du soufisme Naqshbandi-Hannaqi est « une source de cosmopolitisme » doit être considérée en parallèle à la position ambiguë du Québec sur la diversité ethnique et religieuse, notamment dans le contexte des récents débats sur la place de la religion dans la société (débats sur les accommodements raisonnables et la charte de la laïcité). Je montrerai que, chez les adeptes soufis Naqshbandi-Hannaqi de Montréal, l’appel au cosmopolitisme implique une « volonté de s’engager avec l’Autre » (Hannerz 1992 : 252). Cependant, la revendication du cosmopolitanisme va au-delà de la volonté de « voyager à travers le monde, de connaissances culturelles sophistiquées et d’une vision morale du monde des intellectuels déracinés » (Werbner 2006 : 496) ; elle est conçue en termes d’ouverture aux différences culturelles et religieuses tout en favorisant un sens de la responsabilité morale envers la umma et la société québécoise (voir aussi Appiah 1998). Le fait d’affirmer une ouverture religieuse d’un point de vue « musulman » met en tension les revendications cosmopolites des membres du cercle soufi Naqshbandi-Hannaqi de Montréal à l’idée moderne d’une sphère publique laïque qui est généralement basée sur la notion de neutralité doctrinale et religieuse. En d’autres termes, les revendications cosmopolites sont dotées d’un contenu moral, qui est incarné par ce que les adeptes décrivent en termes de spécificité de l’expérience mystique de Naqshbandi-Hannaqi.

LeBlanc M. N., 2019, « Penser les nouvelles figures du marabout : le cas de la Côte d’Ivoire », Revue ivoirienne d’histoire, 32.

LeBlanc M. N., 2013, « Sufi Muslims in Montréal : Tensions Between Cosmopolitanism and the Cultural Economy of Difference », Anthropologica, 55 : 2 (novembre)

Fortin S, LeBlanc M. N., J. LeGall (eds.), 2008, (parution hiver 2009), Numéro thématique : « Etre musulman et migrant après le 11 septembre », DiversitéUrbaine.

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Francesco Piraino (IDEMEC-CNRS), "Festivals soufis et réseau soufi entre le Maghreb et l’Europe"

Dans l’histoire de l’islam, les maîtres soufis et ses disciples ont souvent été liés au pouvoir, en tant qu’autorités religieuses et/ou en tant que figures charismatiques. Au 20ème siècle, les confréries soufies maghrébines ont survécu aux attaques des nationalistes arabes, des islamistes et des autorités coloniales. Des nouvelles figures charismatiques ont donné au soufisme une nouvelle vie, attirant des disciples provenant de différents contextes sociaux et culturels.

Dans cette présentation, je montrerai en quoi ces confréries soufies ont adopté de nouvelles formes, comme l’Alawiyya, la Budshishiyya, la Tijaniyya, la Ouazaniyya, la Naqshbandiyya, et la manière dont elles ont créé un réseau fortement présent dans une sphère publique transnationale. Ce réseau soufi est composé par : 1) des autorités religieuses ; 2) des intellectuels : historiens, anthropologues, scientifiques ; 3) des artistes ; 4) des acteurs politiques ; et 5) « amis » et sympathisants soufis et non-soufis. Les pays qui composent ce réseau sont principalement le Maroc, l’Algérie, la France, la Belgique, et en second lieu le Niger, l’Espagne, l’Italie, la Turquie et les États-Unis. Il s’agit d’un phénomène transnational mais principalement francophone. Les lieux dans lesquels ce réseau soufi se donne à voir sont les zawiyas, les festivals, les universités.

À partir d’un terrain mené en Algérie, au Maroc, en France et en Belgique entre le 2012 et le 2018, je décrirai la manière dont les objectifs affichés de ce réseau se donnent à voir. Il s’agit principalement de : 1) présenter une autre image de l’islam pour lutter contre l’islamophobie en Europe et l’islamisme en Afrique du Nord ; 2) d’incarner une force morale pour les sociétés (musulmane ou non) ; 3) de former des nouveaux imams ; 4) de favoriser le dialogue interreligieux ; 5) promouvoir la discussion au sein de la communauté islamique.

Ce réseau promeut le pluralisme, l’engagement démocratique, le respect des différences, les droits des femmes et l’écologie. Parallèlement, il semble tourné vers une composante élitaire de la société, incapable de comprendre les inégalités sociales, surtout dans le cadre maghrébin. De plus, au Maroc, la proximité de nombreux soufis avec le pouvoir remet en question cet engagement démocratique.

Piraino F. & Sedgwick M. (eds), 2019, Global Sufism : Reconfiguring Narratives, Boundaries and Identities, London, Hurst

Piraino F., 2019, "Esotericisation and De-esotericisation of Sufism in Italy", Correspondences, vol. 7 (1) : 239-276

Piraino F., 2019, "Les Politiques du Soufisme en France", Social Compass, 66 (1) : 134-146

 12 mars
David Bisson (Institut de droit public et de science politique, université Rennes 1), "Ésotérisme et soufisme autour de René Guénon"

Ce séminaire vise à interroger la notion de soufisme telle qu’elle est appréhendée dans les milieux ésotériques liés à la pensée de René Guénon (1886-1951) – ce dernier étant considéré comme l’un des premiers introducteurs du soufisme en France. Pour ce faire, il convient de revenir sur l’itinéraire et la pensée de Guénon pour comprendre, d’une part, comment il a pu avoir accès au soufisme dans un environnement très largement étranger à cette forme religieuse et, d’autre part, comment il a intégré le soufisme dans un système qui s’articule autour de l’idée d’une tradition primordiale. Ensuite, nous analyserons la mise en place d’un soufisme spécifiquement guénonien, qui insiste tout particulièrement sur la dimension initiatique, à travers la création et l’évolution de trois confréries : celles de Frithjof Schuon (1907-1998), de Michel Vâlsan (1907-1974) et d’Abd al-Wahid Pallavicini (1926-2017). A travers ces trois parcours, nous croiserons effectivement les principales thématiques de ce séminaire, à savoir la spiritualisation et l’universalisation du soufisme, tout en interrogeant certaines tensions propres à l’évolution des groupes guénoniens comme le rapport à l’ésotérisme et à l’élitisme, le rapport au politique et à la modernité, le rapport à la cité et à l’Etat, etc. Pour mener cette étude, nous nous appuierons sur les notions de « métapolitique » et d’« infrapolitique » afin de tenter d’identifier les caractéristiques d’un engagement qui se situe aux confins du politique et du spirituel.

David Bisson, René Guénon. Une politique de l’esprit, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2013.

David Bisson, « Soufisme et Tradition. L’influence de René Guénon sur l’islam soufi européen », Archives des sciences sociales des religions, n°140, 2007.

David Bisson, « L’ésotérisme. Thèmes, motifs et acteurs d’une culture en train de se faire », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, 15/2016.

David Bisson, « Résistance et spiritualité. Une confrérie soufie dans le monde moderne : la tarîqa Ahmadiyya en Italie », Catherine Bernié-Boissard, Claude Chastagner, Dominique Crozat, Laurent Sébastien Fournier (dir.), Les cultures de résistance, Coll. « Aménagements et Territoires », numéro 3, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016.