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Christianisation et interactions religieuses en Éthiopie du VIe au XIIIe siècle : approches comparées avec la Nubie et l’Égypte

L’ANR EthioChrisProcess est financé dans le cadre du Défi « Sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives » pour la période 2017-2021. Le projet est coordonné par Marie-Laure Derat (CNRS, Orient & Méditerranée). L’UMR O&M est l’institution principale de rattachement, et les institutions partenaires sont l’IMAF (coordinatrice Anaïs Wion), le Collège de France (coord. F.X. Fauvelle), et le Centre Français des Etudes Ethiopiennes (UMIFRE 3137). Il implique de nombreux collaborateurs scientifiques français et étrangers.

Ce projet d’histoire et d’archéologie vise à étudier la christianisation de l’Éthiopie comme un processus, en s’intéressant à la période postérieure à la première conversion au IVe siècle. Il s’agit d’analyser la « seconde christianisation » comme une phase qui s’étend sur plusieurs siècles, depuis l’introduction du monachisme (à compter du VIe s.) jusqu’au règne d’une dynastie de saints-rois, les Zagwé (XIe-XIIIe s.). Le choix de cette borne chronologique s’explique par le fait que ces souverains instaurent un véritable gouvernement chrétien en Éthiopie, orientant les largesses royales et les richesses du royaume vers les donations pieuses. Il s’agit de mieux comprendre le passage d’une religion officielle, qui ne concernait qu’une minorité du royaume aksumite à une religion partagée par un nombre croissant de personnes et les transformations politiques, économiques et sociales que ce processus a engendrées.

L’Éthiopie concernée par cette recherche est celle qui borde la mer Rouge (avec le port antique d’Adoulis) et qui s’étend sur les hauts-plateaux vers le Sud jusqu’à Lālibalā, prenant en écharpe la ville d’Aksum et la région du Tigray. Cela permettra de mettre à profit tous les travaux archéologiques menés dans ces régions, d’employer les inscriptions, les stèles, les vestiges archéologiques comme autant de témoignages de l’avancée du christianisme et de l’islam et de leurs interactions avec le paganisme. En revanche, les travaux de terrain seront circonscrits à deux régions-témoin, situées en Éthiopie centrale : le Tigray sud-oriental et la région de Lālibalā.

Le projet se déploiera autour de trois types d’enquêtes :

 Le premier vise à éclairer trois moments différents du processus de christianisation – au VIIe, au IXe-Xe et au XIe-XIIe s. –, au cours desquels se cristallisent des interactions religieuses, en faisant appel à des registres documentaires variés : sources épigraphiques, documentation manuscrite, numismatique, iconographique, vestiges archéologiques, sources arabes. Elle interrogera en particulier la question du déclin du royaume d’Aksum, articulé aux transformations religieuses qui se produisent en Éthiopie dans le dernier tiers du premier millénaire. Des études circonscrites tenteront de faire le point sur la christianisation et les réactions au processus de christianisation, les premiers contacts avec l’islam, le déclin d’Aksum.

 Le second type d’enquêtes envisage également toute la période, en abordant la question de la christianisation par le biais du développement du monachisme, en s’intéressant aux circulations de textes et d’images entre Égypte, Nubie et Éthiopie. Dans ce cadre, il s’agit d’observer quels sont les modèles monastiques retenus par les chrétiens d’Éthiopie et les fondements économiques des communautés au travers de l’analyse des figures d’Antoine et Macaire dans les hagiographies des premiers moines éthiopiens et dans les représentations picturales d’une part, de l’étude d’un ensemble peint dans une église qui témoigne d’une iconographie empruntant à des modèles coptes et nubiens d’autre part, et enfin d’exploiter les donations pieuses de communautés monastiques anciennes pour mettre en évidence la concentration foncière aux mains des monastères, les transformations des statuts sociaux de ceux qui travaillent la terre. La question de la participation des monastères au renouvellement et à la réorientation de l’économie régionale, encore mal connue, pourra être renouvelée par l’étude de ce corpus documentaire.

 Le troisième type d’enquêtes se fonde sur une approche archéologique. Il s’agit de repérer les mutations et les interactions religieuses d’un point de vue matériel, en s’intéressant aux conversions de lieux de culte et aux transformations des pratiques funéraires. Deux ensembles ont été sélectionnés : celui de Nāzrēt Māryām et celui de Lālibalā. Ces deux sites ont été choisis pour les informations qu’ils peuvent apporter sur les transformations de sites non chrétiens en sites chrétiens, ou sur les superpositions de sanctuaires.

Ce projet sur la christianisation de l’Éthiopie et les interactions religieuses doit prendre en compte les travaux menés sur des espaces voisins, en Égypte et en Nubie, au sujet de l’impact économique et social du développement du monachisme, sur les mutations des pratiques telles que les pratiques funéraires, sur les interactions avec les païens et les musulmans à partir notamment de l’analyse des transformations des lieux de culte.

L’ampleur chronologique et l’articulation entre christianisation, interactions religieuses et comparaison avec l’Egypte et la Nubie permettent d’affronter la très grande diversité des sources et leur pénurie. En abordant les processus de christianisation selon ces différents angles, en s’intéressant aux marqueurs de la christianisation que sont les églises et les cimetières, en tentant de comprendre comment la concentration foncière dans les mains des institutions pieuses a modifié la société éthiopienne et en s’interrogeant sur la manière dont la christianisation s’est opérée dans les régions voisines de l’Éthiopie, en Nubie et en Égypte, c’est la question de la pénétration chrétienne en Éthiopie, de ses rapports à la pénétration musulmane, de son impact culturel, social et territorial que le projet EthioChrisProcess veut interroger.