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Le mal nécessaire des « aires culturelles » : comment penser l’historicité des sociétés ?

XIe Rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques, FASOPO

Entrée libre, sur inscription préalable : reasopofasopo@gmail.com


Jeudi 17 octobre 2019 :

17h30 – 19h30

SciencesPo-CERI
Salle de conférence
56, rue Jacob
75006 Paris


Vendredi 18 octobre 2019 :

9h30 – 19h

Columbia Global Center
Reid Hall
4, rue de Chevreuse
75006 Paris

Si l’on s’en tient à ces trente dernières années, la conjonction des idéologies néolibérale et néoconservatrice a eu tendance à disqualifier les area studies – notion traduite en français par l’expression, encore plus énigmatique, d’« études des aires culturelles », ou plus récemment, d’ « études aréales » – au profit des théories des relations internationales et des global studies, ou encore de la théorie dite des « choix rationnels » et de la « transitologie » (c’est-à-dire de l’analyse normative des processus de « transition » à l’ « économie de marché » et à la « démocratie »), sur la base du postulat, implicite ou explicite, de la « fin de l’Histoire » (Francis Fukuyama). De telles approches ont ceci de commun qu’elles tendent à gommer les spécificités culturelles ou historiques des différentes sociétés, et à privilégier des dynamiques uniformes de la mondialisation. Cette évolution a pu être vertement critiquée après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, en 2003, dans la mesure où les erreurs de jugement de l’administration Bush ont été en partie imputées à la marginalisation, dans les centres de décision, des universitaires et des experts arabisants, sous la pression des intellectuels et des stratèges néoconservateurs. Il n’empêche que la tendance n’a pas été inversée, la « menace djihadiste » restant dé-sociologisée et dé-historicisée. La vogue de la thématique des « arcs » (« arc chiite », « arc de crise », etc.), la qualification de « globales » de toutes les politiques publiques ou menaces qui se respectent, la montée en puissance des security studies (et des financements afférents) au coeur même de l’Université sont révélateurs de ce dédain pour les aspérités locales de l’histoire et du social.
Certes, des départements ou des programmes dédiés à des « aires culturelles » ont été maintenus du fait des pesanteurs ou des résiliences institutionnelles et académiques, ou même connaissent un regain, comme à Oxford. Mais, d’une part, ils sont désormais inféodés aux problématiques « globales » et, de l’autre, la pertinence de leur délimitation se trouve mise en question sous la double pression des avancées de la réflexion en sciences sociales et des transformations du système international. Les institutions multilatérales, les administrations publiques, voire les entreprises et les ONG, n’échappent pas à ces débats.
Nous partirons de l’hypothèse selon laquelle les area studies demeurent une fiction utile, voire nécessaire, du point de vue de l’acquisition d’un savoir-faire irremplaçable en matière de connaissances, de maîtrise des langues, de pratique de terrain, de transmission intergénérationnelle du capital scientifique, mais à la condition expresse de ne pas avoir de ces « aires culturelles » (ou de ces départements de dénomination géographique) une appréhension culturaliste, d’ordre ethno-religieux, ce qui suppose de les mettre constamment en tension comparatiste. La comparaison singularise les situations considérées. Mais elle les universalise également, car l’universalité procède par réinvention de la différence et suppose la reconnaissance de la diversité.
La question sera donc la suivante : comment définir une « aire culturelle » sans être culturaliste, et notamment prisonnier de l’illusion religieuse ? Pour ce faire, la première condition est de dénaturaliser et d’historiciser les ensembles continentaux que les area studies prennent généralement pour aune, et dont la délimitation est tributaire, précisément, de la pensée religieuse, ainsi que de l’histoire impériale européenne. La seconde condition est de renoncer à la périodisation occidentalo-centrée de l’histoire et de confronter des temporalités historiques différentes d’une société ou d’une catégorie sociale à l’autre, sans prétendre les ramener à une unité d’analyse continentale ou nationale, ni à un calendrier religieux particulier. La troisième condition est
d’abandonner toute définition essentialiste et objective d’une « aire culturelle », qu’elle soit d’ordre géographique, démographique, économique, culturel ou religieux, et de la caractériser plutôt par un type d’enchaînements historiques qui lui confèrent sa singularité, d’un point de vue comparatif, et une cohérence relative, de type interactionnel.

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