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Hommage à Claude-Hélène Perrot

Hommage à Claude-Hélène Perrot dans la revue Africa, par Fabio Viti.

Claude-Hélène’s life was a long and active one full of ideal passions, intellectual motivations, an intense love of knowledge and historical research – especially field study in Africa – and genuine respect for academic work. Thanks to her personality, professional and scholarly relationships easily evolved into sincere and lasting affection. Those in the boards of Africa who had ties of friendship with Claude-Hélène join in the moving remembrance that Fabio Viti has dedicated to her.
PV


Claude-Hélène Perrot (1928-2019)

Franc-comtois, rends-toi ! Nenni, ma foi ! Quiconque l’ait tant soit peu fréquentée a maintes fois entendu cette devise de la bouche de Claude-Hélène Perrot, tout simplement Claude pour ses amis (et surtout ne jamais l’appeler Madame Perrot). Cette fois-ci la franc-comtoise, fière de ses origines provinciales mais parisienne assumée de longue date, s’est rendue, non sans lutter jusqu’à la fin, survenue le 16 juillet dernier, à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où elle recevait incessamment les visites de ses amis. Car Claude était fidèle en amitié et ses proches le lui rendaient.
Grande spécialiste des traditions orales des Akan de l’est ivoirien, les Anyi, société étatique, et les Eotilé segmentaires, Claude-Hélène Perrot avait su rendre leur histoire de façon magistrale dans deux ouvrages richement illustrés par un grand photographe, son cher ami Marc Garanger : Les Anyi Ndenye et le pouvoir, 19°-20° siècle (Paris, Publications de la Sorbonne, 1982) réélaboration de sa thèse d’Etat, dirigée par l’anthropologue Georges Balandier, pour lequel elle nourrissait une admiration sans bornes, et Les Eotilé (Paris, Publications de la Sorbonne, 2008), travail de longue haleine qu’elle avait conduit dans les villages de la lagune Aby.
Mais ses contributions scientifiques ne s’arrêtaient pas à ses deux monographies majeures. De nombreuses directions d’ouvrages attestent de son rayonnement intellectuel et de ses capacités bien connues de réunir des chercheurs venant d’horizons différents : les sources orales, toujours, les sociétés akan, bien entendu, mais aussi les dynamiques territoriales et lignagères, la critique de l’afrocentrisme, le renouveau de la chefferie coutumière, les religions du terroir et leur résistance face aux “ravages des prophètes”, ce sont autant de sujets sur lesquels elle a su apporter une vision interne aux sociétés africaines, tellement son historiographie était liée à la pratique du terrain davantage qu’à celle de l’archive. Je lui suis reconnaissant d’avoir voulu m’associer à plusieurs de ces entreprises collectives, même si nos visions des sources de l’histoire et du rôle de l’anthropologie pouvaient parfois diverger.
Claude Perrot était une militante sincère et obstinée des sources orales, au prix de passer parfois pour une chercheuse conservatrice, ce qui ne la gênait finalement pas tant que cela, dans un milieu de la recherche de plus en plus enclin à l’adhésion facile aux modes passagères. Au contraire, elle se faisait parfois un malin plaisir de ne pas être “dans le vent”.
Ayant débuté sa carrière dans l’enseignement supérieur en 1963 à l’Ecole des
Lettres d’Abidjan, future Université Nationale de Côte d’Ivoire, elle était restée très attachée à ce pays, où elle avait eu de nombreux élèves et reçu des honneurs officiels, décorée de l’ordre du mérite culturel en 2015. Rentrée en France en 1971, à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne elle avait enseigné l’histoire de l’Afrique (et non pas des Blancs en Afrique) à des générations d’étudiants, y compris de nombreux africains, que l’on compte désormais dans l’élite intellectuelle et politique de plusieurs pays francophones. Nommée Professeur émérite à son départ à la retraite en 1993, elle n’avait pas pour autant quitté la recherche, à l’Institut des Mondes africains (Imaf), dernière mouture prise par l’ancien Centre de Recherches Africaines de la rue Malher, et à la Société des Africanistes, notamment en prenant un rôle actif au sein de la rédaction du Journal des Africanistes.
Lors de ma dernière visite à l’hôpital elle m’avait dit : “dans dix ans j’aurai cent ans, c’est terrible”. Elle n’a pas atteint le siècle, mais ses nombreux amis et ses élèves se chargeront sans doute de la faire vivre dans leurs pensées et dans leur souvenir bien au-delà de cette limite.

Fabio Viti, Abidjan, le 12 août 2019

Hommage_Revue-Africa