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Universalisation, spiritualisation et patrimonialisation du soufisme

Séance du 27 février 2020, de 17h à 20h
Campus Condorcet, salle 0.031, bâtiment Recherche Sud, 5 Cours des Humanités, 93300 Aubervilliers

 Marie-Nathalie Leblanc (Université du Québec à Montréal (UQAM)/Chaire de recherche sur l’islam en Afrique de l’Ouest (Chaire ICAO),
"Soufisme, cosmopolitanisme et économie culturelle de la différence : le cas du Centre Soufi Naqshbandi de Montréal"

Dans cette présentation, je propose de questionner la pertinence sociopolitique de l’appel au cosmopolitisme dans un contexte néolibéral de l’après-guerre froide où les idéaux modernes de laïcité ont été profondément ébranlés et l’idée de la post-laïcité prend racine (voir Berger 1999 ; Calhoun 2007 ; Casanova 1994 ; Taylor 2007). Depuis les événements du 11 septembre 2001, la place de la religion dans le politique, aux échelles nationale et globale, semble presque inévitable. J’examinerai ici comment diverses conjonctures internationales liées au 11 septembre, en particulier la « guerre contre le terrorisme » et la résistance manifeste, souvent violente, à la domination occidentale par les musulmanEs, ont contribué à pousser ces derniers.ÉRES dans une position ambiguë face à l’Occident (voir McDonough et Hoodfar 2005 pour une analyse similaire). En effet, les musulmanEs, qui vivent en Amérique du Nord et en Europe, doivent souvent justifier leur loyauté religieuse et politique par rapport à l’islamisme et à la laïcité (voir Helly 2000, 2004 ; Renaud et al 2002).

Pour ce faire, je propose d’explorer la manière dont certains musulmanEs, membres d’un cercle soufi Naqshbandi-Hannaqi à Montréal, initient des formes de participation civique qui positionnent l’islam comme un lieu privilégié de tolérance interculturelle et d’articulation d’identités cosmopolites. L’assertion selon laquelle la tradition du soufisme Naqshbandi-Hannaqi est « une source de cosmopolitisme » doit être considérée en parallèle à la position ambiguë du Québec sur la diversité ethnique et religieuse, notamment dans le contexte des récents débats sur la place de la religion dans la société (débats sur les accommodements raisonnables et la charte de la laïcité). Je montrerai que, chez les adeptes soufis Naqshbandi-Hannaqi de Montréal, l’appel au cosmopolitisme implique une « volonté de s’engager avec l’Autre » (Hannerz 1992 : 252). Cependant, la revendication du cosmopolitanisme va au-delà de la volonté de « voyager à travers le monde, de connaissances culturelles sophistiquées et d’une vision morale du monde des intellectuels déracinés » (Werbner 2006 : 496) ; elle est conçue en termes d’ouverture aux différences culturelles et religieuses tout en favorisant un sens de la responsabilité morale envers la umma et la société québécoise (voir aussi Appiah 1998). Le fait d’affirmer une ouverture religieuse d’un point de vue « musulman » met en tension les revendications cosmopolites des membres du cercle soufi Naqshbandi-Hannaqi de Montréal à l’idée moderne d’une sphère publique laïque qui est généralement basée sur la notion de neutralité doctrinale et religieuse. En d’autres termes, les revendications cosmopolites sont dotées d’un contenu moral, qui est incarné par ce que les adeptes décrivent en termes de spécificité de l’expérience mystique de Naqshbandi-Hannaqi.

LeBlanc M. N., 2019, « Penser les nouvelles figures du marabout : le cas de la Côte d’Ivoire », Revue ivoirienne d’histoire, 32.

LeBlanc M. N., 2013, « Sufi Muslims in Montréal : Tensions Between Cosmopolitanism and the Cultural Economy of Difference », Anthropologica, 55 : 2 (novembre)

Fortin S, LeBlanc M. N., J. LeGall (eds.), 2008, (parution hiver 2009), Numéro thématique : « Etre musulman et migrant après le 11 septembre », DiversitéUrbaine.

&

 Francesco Piraino, (IDEMEC-CNRS ),
"Un réseau soufi dans la sphère publique transnationale : entre la fabrication de l’autorité religieuse et la négociation avec l’altérité"

Dans l’histoire de l’islam, les maîtres soufis et ses disciples ont souvent été liés au pouvoir, en tant qu’autorités religieuses et/ou en tant que figures charismatiques. Au 20ème siècle, les confréries soufies maghrébines ont survécu aux attaques des nationalistes arabes, des islamistes et des autorités coloniales. Des nouvelles figures charismatiques ont donné au soufisme une nouvelle vie, attirant des disciples provenant de différents contextes sociaux et culturels.

Dans cette présentation, je montrerai en quoi ces confréries soufies ont adopté de nouvelles formes, comme l’Alawiyya, la Budshishiyya, la Tijaniyya, la Ouazaniyya, la Naqshbandiyya, et la manière dont elles ont créé un réseau fortement présent dans une sphère publique transnationale. Ce réseau soufi est composé par : 1) des autorités religieuses ; 2) des intellectuels : historiens, anthropologues, scientifiques ; 3) des artistes ; 4) des acteurs politiques ; et 5) « amis » et sympathisants soufis et non-soufis. Les pays qui composent ce réseau sont principalement le Maroc, l’Algérie, la France, la Belgique, et en second lieu le Niger, l’Espagne, l’Italie, la Turquie et les États-Unis. Il s’agit d’un phénomène transnational mais principalement francophone. Les lieux dans lesquels ce réseau soufi se donne à voir sont les zawiyas, les festivals, les universités.

À partir d’un terrain mené en Algérie, au Maroc, en France et en Belgique entre le 2012 et le 2018, je décrirai la manière dont les objectifs affichés de ce réseau se donnent à voir. Il s’agit principalement de : 1) présenter une autre image de l’islam pour lutter contre l’islamophobie en Europe et l’islamisme en Afrique du Nord ; 2) d’incarner une force morale pour les sociétés (musulmane ou non) ; 3) de former des nouveaux imams ; 4) de favoriser le dialogue interreligieux ; 5) promouvoir la discussion au sein de la communauté islamique.

Ce réseau promeut le pluralisme, l’engagement démocratique, le respect des différences, les droits des femmes et l’écologie. Parallèlement, il semble tourné vers une composante élitaire de la société, incapable de comprendre les inégalités sociales, surtout dans le cadre maghrébin. De plus, au Maroc, la proximité de nombreux soufis avec le pouvoir remet en question cet engagement démocratique.

Piraino F. & Sedgwick M. (eds), 2019, Global Sufism : Reconfiguring Narratives, Boundaries and Identities, London, Hurst

Piraino F., 2019, "Esotericisation and De-esotericisation of Sufism in Italy", Correspondences, vol. 7 (1) : 239-276

Piraino F., 2019, "Les Politiques du Soufisme en France", Social Compass, 66 (1) : 134-146

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