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In memoriam Moussa Sow

Moussa Sow, chercheur associé à l’IMAF, n’est plus…

Socio-linguiste de formation, Moussa Sow était aussi un chercheur interdisciplinaire, féru d’histoire, d’anthropologie et de sociologie. Aussi humble que discret dans ses activités scientifiques comme politiques, il fut un combattant acharné de la démocratie, fortement investi, parfois dans la clandestinité, dans les luttes sociales. Dans les années 90, il occupa successivement plusieurs postes administratifs, notamment au niveau du ministère de la culture, dont il fut chef de cabinet puis secrétaire général. Chercheur à l’Institut des Sciences Humaines de Bamako depuis 1981, il en devint directeur. Sa curiosité sans borne l’amena à travailler sur des sujets aussi variés que le boisement des Landes de Gascogne, la problématique du regard africain sur l’Europe, les évolutions de l’islam contemporain, la décentralisation ou les gouvernances locales au Mali. Mais ses centres d’intérêts majeurs ont toujours été la tradition orale et l’anthropologie du politique. Auteur d’une quarantaine d’articles et codirecteur de trois ouvrages, il avait entrepris la rédaction de ce que l’on peut considérer comme l’œuvre d’une vie, L’Etat de Ségou et ses chefferies aux XVIIIe et XIXe siècles. Côté cour, côté jardin, à paraître tout prochainement aux Presses universitaires de Bordeaux. Disparu à l’âge de 68 ans, il n’aura pas eu le plaisir d’avoir ce beau livre, qui fera date, entre les mains.

Cet ouvrage présente un très intéressant renversement de perspective, en étudiant le pouvoir de Ségou à partir de ses périphéries, un renversement qui permet de compléter les versions connues de la culture de cour ségovienne, avec ses illustres griots, en prenant en compte des traditions orales plus locales qui sont souvent passées à travers les mailles trop larges du filet de la mémoire officielle. Ce livre permettra de mieux comprendre le système de maillage sécuritaire mis en place par les souverains ségoviens en direction de leurs chefferies périphériques, satellites mais parfois rebelles. On y découvrira des développements nouveaux sur ce qui se noue de politique à partir non seulement des batailles, mais aussi des alliances matrimoniales où, bien évidemment, les princesses jouent un rôle clé. L’ouvrage montre que les traditions orales ne prennent pas tant la forme de récits immuables, mais plutôt celle d’un processus continuel de construction et de reconstruction autour du pôle politique de l’Etat de Ségou, dont notre collègue Jean Bazin avait jadis entamé l’étude. C’est ce « retraitement local » continu et personnalisé des signaux du champ politique de Ségou, lui-même en interaction avec des champs politiques antérieurs, qui fait l’intérêt des collectes de Moussa Sow, des collectes précieuses précisément parce que particulières et moins censurées que les versions centrales. Il rend compte avec une minutie incroyable des discontinuités politiques, géographiques et historiques existant entre les différentes provinces du « pouvoir de Ségou » et entre celles-ci et la dynamique centrale de l’Empire. Il nous invite à une perspective décentrée sur l’empire, en allant voir « côté jardin ». Ses travaux permettent de poser très concrètement la question de ce qu’était une chefferie de la rive gauche du Niger, entre Kala et Kaarta et entre Dinandugu et Baxunu, au XVIIIè et XIXè siècles. Elle apparaît comme une formation politique investie d’une mission guerrière dans une portion du territoire, dans le cadre d’un dispositif militaire ségovien d’une redoutable efficacité. Ce concept de chefferie ne prend donc tout son sens qu’en rapport avec d’autres concepts du champ politique comme « cité », « province », « Etat », « centre », « périphérie ». Nul doute que la pensée et l’œuvre de Moussa Sow n’inspirent pour de nombreuses années les débats sur la problématique de l’Etat dans un pays comme le Mali au riche et complexe passé historique et à la brûlante actualité.
Moussa Sow était un homme d’une intelligence supérieure, d’une grande finesse intellectuelle, d’une impressionnante érudition et d’une haute culture. Il était aussi un chercheur infatigable et un auteur au style exigeant. A ces qualités professionnelles, il faut ajouter l’essentiel : c’était un ami hors pair, à la fidélité indéfectible et à la loyauté sans faille. La perte d’un chercheur d’une telle dimension ne peut être en aucune manière évaluée : elle est incommensurable ! Qui saura restituer avec autant de finesse que lui la complexité des situations sociopolitiques du Mali ? Qui répondra dorénavant aux questions que nous lui posions les uns et les autres quand nous allions lui rendre visite à Bamako ?

Jean-Paul Colleyn, Anne Doquet (20 août 2021)


Hommage à Moussa Sow, par LMI MaCoTer : ICI