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Anthropologie comparative du Sahel occidental musulman

Séminaire organisé par Amalia Dragani, postdoctorante / IMAF ; Pietro Fornasetti, doctorant à l’EHESS / IMAF ; Ismael Moya, chargée de recherche au CNRS (cet enseignant est référent pour cette UE) ; Abdel-wedoud Ould-Cheikh, professeur à l’Université de Lorraine ; Jean Schmitz, directeur de recherche à l’IRD / IMAF

Année universitaire : 2016 / 2017
Périodicité : 1er, 3e et 5e mercredis du mois de 15h à 17h
Localisation : IMAF / Site Raspail, salle de réunion, 2e étage, 96 bd Raspail 75006 Paris
Calendrier : Du 16 novembre 2016 au 21 juin 2017.

Présentation :
Ce séminaire est consacré à l’anthropologie comparative des sociétés du Sahel occidental musulman (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger...) et de leurs diasporas, régionales et internationales. Nous aborderons principalement trois thématiques : l’islam, les hiérarchies sociales de castes et d’esclavage ainsi que les relations de genre pour s’interroger sur l’unité de cette région. On s’appuiera sur l’analyse de trois contextes distincts : rural, urbain et migratoire. Loin de considérer ces trois configurations comme des éléments disjoints, on s’attachera à comprendre leur continuité dans une perspective comparative en s’intéressant à l’historicité et la cohérence des économies morales, des institutions et des valeurs qui les organisent. Il s’agit enfin de dépasser les problématiques centrées sur des groupes définis en soi ou par leur origine, au profit de l’étude des dynamiques politico-religieuses de la région (jihad du XIXe, réformisme musulman…) et de l’analyse des relations qui constituent et articulent les catégories sociales locales et rendent compte de leur mutabilité.

Adresse(s) électronique(s) de contact : ismael.moya(at)cnrs.fr, schmitz(at)ehess.fr, abdoucheikh222(at)gmail.com, pietro.fornasetti(at)ehess.fr, liadragani(at)yahoo.it

PROGRAMME

 16 novembre 2016
Séance introductive

 30 novembre
Abdel Wedoud Ould Cheikh, Université de Lorraine
Les fondamentaux de la culture islamique "classique" sahélienne : autour de Fath al-Shakûr fî ma‘rifat a‘yân ‘ulamâ’ al-Takrûr de al-Tâlib Muhammad b. Abî Bakr al-Siddîq al-Bartalî al-Walâtî (m. 1219/1805)

Résumé :
Antérieurement aux effets de la globalisation islamique et à la wahhabisation rampante qu’elle a drainé sur fond de ressources pétrolières abondamment mobilisées au service de desseins missionnaires par les monarchies du Golfe arabo-persique depuis le milieu des années 1970, l’islam sahélien (Mauritanie, Mali, Niger, Sénégal…) s’exprimait dans un corpus de références relativement unifié qui n’a guère subi de modification depuis le XVIe siècle. Les recueils bio-bibliographiques (kutub al-tabaqât) de la région, inspirés par les œuvres de devanciers moyen-orientaux comme Kitâb tabaqât al-‘ulamâ’ d’al-Haytham b. ‘Adî (m. 207/822-3) ou al-Tabaqât al-kubrâ de Ibn Sa‘d (m. 230/844-5) ; ou par les travaux d’auteurs maghrébo-andalous comme Tartîb al-madârik d’al-Qâdî ‘Iyyâd (m. 544/1149-50), fournissent un tableau détaillé du corpus en question. Nayl al-ibtihâj bi-tatrîz al-dîbâj d’Ahmad Bâba de Timbuktu (m. 1627) et sa "contraction" (Bughyat al-muhtâj) ont inauguré le genre dans l’espace sahélo-saharien occidental. Fath al-shakûr, dont il sera question dans cette intervention en constitue un prolongement, plus spécifiquement centré sur l’actuelle Mauritanie et ses confins.
Il s’agira, à partir d’une présentation de cet ouvrage, de donner un aperçu de la culture islamique "classique" sahélienne, de ses matières, de ses manuels et des valeurs intellectuelles et morales qu’elle tendait à mettre en avant.

 7 décembre
Jean Schmitz, IRD-IMAF
Que nous enseigne la sociologie des violences contemporaines (attentats, Mali…) sur les imamats et jihâds d’Afrique de l’Ouest (XVIIIe -XIXe siècles) et réciproquement.

Résumé :
Les attentats commis en France en 2015 comme les violences de Boko Haram au Nigeria (Bornu) valident les outils sociologiques élaborés par Marc Sageman (2004, 2008, 2016), pour comprendre ceux du 11 septembre 2001, comme ceux de Madrid 2004 (Atran 2010 ; Roy 2016). Partant de l’analyse de réseaux sociaux (SNA), il montre que la formation du petit groupe d’amis, d’une « bande de potes » (bunch of guys) partageant une même déshérence sociale préexiste à l’affiliation au jihâd. C’est le cas pour la « petite bande de Molenbeek » et la « bande de copains » de Strasbourg partis en Syrie, impliquées dans les attentats du 13 novembre 2015. On retrouve la même prégnance des réseaux d’amitiés au Nigeria : les jeunes de Boko Haram s’appellent entre eux « frères enfants d’une même mère » ou « enfants du maître » (Higazi 2015).

Deux siècles auparavant en Afrique de l’Ouest, le croisement des liens d’amitié, de maître coranique à disciple et de parenté par les femmes (Schmitz 2000) au sein du groupe des TooroBBe (les « mendiants ») précéda également la « révolution musulmane » des années 1770-1780 d’où émergea l’imamat du Fuuta Tooro situé autour du fleuve Sénégal/Mauritanie. Celui-ci était l’héritier de plusieurs soulèvements et d’autres imamat sénégambiens luttant contre l’asservissement des musulmans. Les fondateurs des jihâd du XIXe siècle,‘Uthman dan Fodio (1754-1817) initiateur à partir de 1804 de l’immense califat de Sokoto (actuel Nigeria du Nord) et al-Hajj Umar Tal (1796-1864) qui créa un vaste État multipolaire au milieu du XIXe siècle (actuel Mali), se réclamèrent également de l’héritage des TooroBBe. La sociologie de la stigmatisation (Norbert Elias, Erwin Goffman) permet d’analyser la promotion sociale par le jihâd de ces d’étudiants coraniques « mendiants » issus de toutes les couches sociales, en particulier des éleveurs peuls (FulBe à l’ouest ou Fulani à l’est) méprisés auparavant par les lettrés musulmans qui renvoyaient ces nomades à la nuit de la période préislamique (jâhiliyya).

Paradoxalement les descendants de l’élite servile des slave soldiers, des "mamelouks" dont le ralliement assura le succès de ces imamats comme des jihâd, restent encore à la porte des mosquées, marqués par une "macule de l’infidélité" ineffaçable (Hall 2011). L’ethnographie au long cours dans une ancienne capitale du Fuuta Tooro retracera leurs investissements islamiques, de l’école coranique dès le début du XXe siècle jusqu’à l’imamat de mosquée autour de 2010. Loin du récit guerrier de l’opposition dominés/dominants, cette « quête de reconnaissance » (Axel Honneth) mettra en lumière l’importance des médiations, de l’affection au sein du foyer coranique, de la « zone grise » des mariages entre « nobles » et « esclaves » enfin de l’organisation quasi confrérique du mouvement Enndam Bilaali.

L’articulation entre ces trois sociologies – bunch of guys theory, sociologie de la stigmatisation et quête de la reconnaissance – devrait permettre de comprendre les derniers redéploiements des acteurs des crises du Mali – déplacement vers les Peuls du Mali centre – et du Nigeria (Bornu State) – repli de Boko Haram vers les monts Mandara et à l’intérieur du Lac Tchad (Seignobos 2014, 2015).

 4 janvier 2017
Mariem mint Baba Ahmed , docteure en anthropologie
Les voix / voies de l’émancipation en Mauritanie : les hratîn (anciens esclaves) entre l’adabây, la ville et le bidonville

Résumé :
À partir d’un substantiel travail de terrain effectué en collaboration avec d’autres chercheurs, notamment avec Ann McDougall, professeur à l’Université d’Alberta, recherche qui a abouti a une thèse soutenue à l’Université de Lorraine le 22 juin 2015 ("Mobilité sociale du statut servile en Mauritanie : espace et discours"), l’intervenante compte faire apparaître les spécificités sociales du groupe des hrâtîn (anciens esclaves) de la société maure et les évolutions qu’il a connues au cours des quarante dernières années. L’autonomisation ancienne dans des villages à vocation principalement agricole (âdwâba, sg. adabây), qui se prolonge aujourd’hui dans les villes et les bidonvilles, surtout ceux de la capitale mauritanienne - Nouakchott -, s’inscrit dans un processus d’émancipation aux dimensions et aux modes d’expression multiples. Il s’agira d’en évoquer les dimensions sociales (les rapports au système éducatif, les formes d’insertion professionnelles...), culturelles (place notamment de la musique) et politiques, entre activisme tonitruant et notabilisation sélective des voix les plus "autorisées" de la communauté hrâtîn.

 18 janvier
Rémi Dewière, docteur en Histoire, IMAF
De la frontière au corps du souverain. Rencontrer le sultan du Borno à l’époque moderne

 1er février
Pietro Fornasetti, doctorant IMAF/EHESS
Frères comment ? Les migrations des bisa vers l’étranger au prisme de liens de germanité : réflexions à partir d’un corpus généalogique

Résumé :
Les migrations internationales des jeunes burkinabés, et en particulier des Bisa, originaires du centre-sud du Burkina Faso, sont connues pour être essentiellement le fait de jeunes hommes en quête d’autonomie économique et morale. La représentation (emic ou etic) d’une commune appartenance des migrants à une unité nationale, « ethnique », villageoise ou parentale passe alors souvent par le terme de « frères », alors qu’il est parfois difficile de savoir si l’utilisation de ce mot est métaphorique ou non. Cet usage, parfois repris par les chercheurs, cache néanmoins le rôle actif que les sœurs et mères jouent dans les déplacements des migrants. Cet exposé sera donc l’occasion de réfléchir aux raisons d’une telle éclipse à travers l’analyse d’un corpus de données généalogiques.

 1er mars
Ismael Moya, Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative, CNRS
Quelques éléments sur la sexualité à Dakar : provocations, objets et statuts sociaux

Résumé :

A Dakar, la sexualité ordinaire des couples mariés est décrite comme un combat de lutte sénégalaise. Elle implique d’importants préparatifs et de longs préliminaires. Les femmes ont pour tâche de susciter le désir de leur conjoint. Elles ont à leur disposition pour cela un large éventail d’accessoires, vendus le plus souvent par des personnes castées, et en particulier des femmes lawbe, au vu et au su de tous dans les marchés. Ces objets constituent un véritable arsenal féminin de la séduction : draps coquins agrémentés d’images pornographiques, encens provocateurs, perles de hanche aux tintements excitants et aux inscriptions salaces, sous-vêtements érotiques en tout genre… Les maris doivent être capable de répondre sans défaillir aux provocations de leur(s) épouse(s) et font parfois appel à une pharmacopée bien fournie : « coup démarreur » du Niger, sirop « Bazooka » du Nigeria, « Ajanta’s Stamina » indien, viagra officiel ou contrefait, etc. La jouissance des femmes, qui maitrisent ce processus, n’est pas négligée, mais reste secondaire par rapport au plaisir du mari, qui se traduit par un cadeau offert à l’épouse : tissus, parfum ou argent.
La sexualité, tout comme l’art de la séduction et de la provocation, n’ont rien de transgressif. Si des valeurs sont liées au sexe, c’est plutôt celles de la pudeur (kersa) et de la discrétion (sutura), qui organisent aussi, notamment, la parole en public ou les relations entre époux (qu’il s’agisse de sexe ou d’économie domestique). Or c’est aussi en relation à la valeur de la pudeur que sont distinguées les « castes » wolof du reste de la société : griots, forgerons et lawbe (traditionnellement boisseliers). Les griots n’ont aucune pudeur quand il s’agit de parler en public, chanter les louanges d’une personne et demander de l’argent. Les femmes lawbe, quant à elles, n’ont aucune pudeur à parler de sexualité et sont considérées comme des expertes en la matière.

 15 mars
Benoit Beucher, docteur en Histoire et en Sciences politiques ; chercheur affilié à l’IMAF
Naaba : trajectoires historiques d’une autorité morale au Burkina Faso

Résumé :
Lors des derniers bouleversements politiques survenus au Burkina Faso, la royauté mossi de Ouagadougou a été au cœur du processus de sortie de crise. Adoptant une position de surplomb moral, elle a contribué à sauver les institutions républicaines. Ma communication invite précisément à faire l’archéologie d’une néo-tradition de la moralité constitutive d’un ethos aristocratique mossi, et à interroger ses effets sur le champ politique contemporain à l’échelle nationale.

 29 mars
Anouk Cohen, Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative / Centre Jacques Berque, CNRS
Le prix du Livre. Valeur et "authenticité" du Coran au Maroc

Résumé :
Au Maroc, comme ailleurs, l’éditeur à succès est celui qui sait adapter sa production à ses publics. Ceux-ci sont caractérisés, à Rabat et à Casablanca, les capitales économique et politique du pays où l’enquête a été menée, par un faible pouvoir d’achat. Ainsi, le prix du livre, que les éditeurs tentent de réduire au maximum en s’efforçant de baisser les coûts de fabrication, est le nœud gordien du secteur. Mais jusqu’où l’Écriture divine peut-elle être matériellement transformée en vue d’être commercialisée au meilleur prix ? Cette interrogation est placée au cœur de la réflexion, axée sur les rapports entre Coran en tant que livre, marchandisation et authentification dans le Maroc contemporain.

 19 avril
Kader Mané, doctorant IMAF et Laboratoire Genre, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Stratification sociale et politique. Analyse du développement dans le Delta du fleuve Sénégal

 3 mai
Nikolay Dobronravin, Professeur de linguistique et sciences politiques (Université de Saint-Pétersbourg), Professeur invité à l’EHESS
La cosmogonie islamique et les généalogies ethnopolitiques en Afrique Occidentale

 31 mai
Amalia Dragani, post-doc IMAF
Étudiants touaregs dans l’ancien bloc soviétique. Destins professionnels, politiques et matrimoniaux.

 7 juin
Elizaveta Volkova
Comparer les relations à plaisanterie en Casamance : comment se taquinent les voisins

 21 juin
Hannah Hoechner, Postdoctorante à CeMIS, University of Antwerp
Countercurrents of migration and faith : the education of Senegalese migrants’ children in Dakar.