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In memoriam Georges Balandier

Georges Balandier, né en 1920, est mort dans la nuit du 4 au 5 octobre 2016. Anthropologue et sociologue, professeur émérite de la Sorbonne (université René Descartes, Paris V), directeur d’études à l’EHESS, fondateur du Centre d’études africaines et des Cahiers d’études africaines, il a marqué son époque et les sciences sociales par un certain nombre d’idées révolutionnaires encore vouées à un bel avenir.

Dès 1955, sceptique quant à l’existence de sociétés situées hors de l’histoire, il mit l’accent sur l’importance des dynamiques sociales en tenant compte des conflits, du changement et de l’innovation. Georges Balandier disait volontiers que c’étaient les circonstances qui avaient fait de lui un « africaniste » lors du tournant historique de la fin des années quarante. Dès sa première enquête de terrain, dans la presqu’île de Dakar, la dimension historique des faits qu’il s’efforçait de décrire lui sautait aux yeux. Ensuite, il fit la connaissance de Léopold Sédar Senghor, d’Alioune Diop, de Cheikh Anta Diop et d’une série d’autres jeunes intellectuels africains épris de liberté et soucieux de servir l‘émancipation du continent. Ces fréquentations furent si formatrices qu’il alla jusqu’à dire que l’Afrique fut sa véritable Sorbonne.

Georges Balandier fut d’entrée de jeu un anthropologue ou un sociologue – la distinction a ici peu d’importance – plus intéressé par les défis du présent que par les héritages du passé. En rupture avec le caractère synchronique du fonctionnalisme britannique (qui voyait les sociétés comme des ensembles figés) et du structuralisme (qui voyait les cultures comme des systèmes de signes), il fut amené à reconnaître le caractère hétérogène des sociétés (d’ici ou d’ailleurs) qui révèlent toujours des éléments d’âges différents qui coexistent de manière plus ou moins contradictoire et plus ou moins efficace. A ses yeux – et l’histoire lui donne raison – même une société qui se présente sous l’aspect d’un « ordre établi » n’est pas moins un « perpétuel procès d’engendrement ».

Loin de souligner ad nauseam les fléaux et les douleurs de l’Afrique, Georges Balandier ne cessait se souligner sa créativité et ses reprises d’initiative. Il fut l’un des premiers, avec Paul Mercier, à contester l’enfermement des populations dans des tribus ou des ethnies figées, encloses à l’intérieur de frontières fixes. Constatant les mélanges, métissages et syncrétismes, il s’est très tôt demandé si l’authenticité pouvait être attribuée à des cultures, à des sociétés, sans que ce soit pour une part un leurre. Pionnière fut également sa contribution à l’anthropologie politique, puisqu’il s’intéressa aux différentes façons de produire du pouvoir, car l’Afrique précoloniale présentait une grande variété de formes politiques : des sociétés lignagères aux chefferies, aux royaumes, aux États guerriers, aux quasi théocraties, aux empires. Des formes qui pouvaient être comparées à d’autres mondes et qui furent mises à l’épreuve de la colonisation jusqu’à la construction d’États-nations encore si souvent discutés aujourd’hui.

Un autre aspect de son œuvre concerne la réflexivité, une notion devenue à la mode, que n’utilisait pas encore Georges Balandier, mais qu’il avait parfaitement identifiée : en réintroduisant la praxis et la notion de situation en anthropologie, il fut amené à réfléchir sur la manière dont il devait appréhender l’action des individus qu’il observait et sur ses propres anticipations dans le processus d’élaboration du texte ethnographique. On pourrait encore signaler une longue liste de thèmes passionnants qui égrènent sa bibliographie, allant de l’anthropologie politique à la mise en scène du pouvoir, sans parler de la situation coloniale. La colonisation en tant que dispositif de domination était une des directions de recherche qu’il avait indiquée et qu’un certain nombre d’auteurs semble découvrir aujourd’hui. La prise en compte du colonialisme a débouché, non seulement chez Balandier, mais aussi chez ceux qui l’ont suivi, sur l’étude du développement. Pour défendre nos disciplines universitaires et les chercheurs, Georges Balandier était présent sur tant de fronts qu’il semblait doué d’un don d’ubiquité.

L’Institut des mondes africains (IMAF), produit de la fusion de plusieurs centres de recherche créés par George Balandier, mesure la perte que constitue sa disparition.

De Jean Paul Colleyn
Institut des Mondes Africains (EHESS, IRD, CNRS, Univ. Paris I, EPHE, AMU)

Quelques titres marquants :

 1955 Sociologie des Brazzavilles noires, Paris, A. Colin.

 1955 Sociologie actuelle de l’Afrique noire. Dynamique des changements sociaux en Afrique centrale, Paris, PUF.

 1957 (dir.) Le Tiers-Monde, sous-développement et développement, Paris, PUF-INED.

 1957 Afrique ambigüe, Paris, Plon.

 1965 La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette.

 1967 Anthropologie politique, Paris, PUF.

 1971 Sens et puissance : les dynamiques sociales, Paris, PUF

 1977 Histoire d’Autres, Paris, Stock.

 1980 Le pouvoir sur scène, Paris, Fayard (éd. augmentée en 2006).

 1985 Le détour : pouvoir et modernité, Paris, Fayard.

 1988 Le désordre : éloge du mouvement, Paris, Fayard.

 2002 « La situation coloniale : ancien concept, nouvelle réalité », French Politics, Culture & Society, 20, 2, p. 4-10.

 2003 Civilisés, dit-on, Paris, PUF.

 2013 Du social par temps incertain, Paris, PUF.