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Monuments et documents de l’Afrique ancienne : recherches en cours en histoire, histoire de l’art et archéologie

Séminaire coordonné par Claire Bosc-Tiessé et Anaïs Wion (CNRS / Institut des mondes africains).
avec la collaboration de Marie-Laure Derat (CNRS, Orient & Méditerranée) et Amélie Chekroun (CNRS, IREMAM).

Année universitaire : 2023 / 2024
Périodicité : 2e et 4e vendredi, de 14h30 à 16h30
Localisation : Bâtiment EHESS-Condorcet, salle gradinée, 2 cours des humanités, 93300 Aubervilliers (sauf séances du 22, 23 novembre et du 8 décembre - cf. programme ci-dessous)

Calendrier : Du 10 novembre 2023 au 21 juin 2024

Présentation :

Ce séminaire teste et confronte hypothèses et méthodes pour montrer comment les sciences humaines et sociales écrivent aujourd’hui le passé de l’Afrique. L’objectif est de présenter et discuter les recherches en cours sur l’Afrique ancienne, entendue dans un sens très large de la préhistoire jusqu’au pré-contemporain, prenant en compte aussi bien les régions au sud du Sahara que celles qui sont au nord. Il s’agit non seulement d’établir une veille sur les tendances actuelles de la recherche mais surtout de voir comment celle-ci peut se faire en situation de pénurie documentaire dans une interdisciplinarité en acte. Ce séminaire permet aussi de mobiliser et rassembler les recherches sur l’Afrique pré-contemporaine pour créer un lieu d’échanges et dynamiser le champ.


CONTACTS :
anais.wion@univ-paris1.fr ; claire.bosc-tiesse@ehess.fr


PROGRAMME :

 10 novembre 2023 :
Mikael Muehlbauer (Columbia Univ, USA) : « The “Gothic” Window in the Church of Beta Maryam (Lalibela, Ethiopia) : Mamluk Aesthetics and the Iconography of Spolia in Medieval Ethiopia »

Au centre de la façade de l’église taillée dans le roc de Beta Maryam (Lalibela, Éthiopie), datant de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle, se trouve une curieuse fenêtre. Constituée d’une paire d’ouvertures cintrées couronnées d’un quadrilobe, elle ressemble beaucoup aux fenêtres à plateaux du début du gothique. Plutôt qu’une coïncidence, j’émets l’hypothèse que cette forme fut un emprunt ostensible au gothique par la royauté éthiopienne et qu’elle fut probablement sculptée lors d’une restauration médiévale tardive de l’ensemble de l’église (fin du XIIIe - milieu du XVe siècle). Ce motif n’a cependant pas parcouru seul les 5 500 km qui séparent l’Éthiopie de l’Île-de-France. À cette époque, les éléments gothiques pillées dans les églises des croisés tels que lancettes, occuli et portails étaient utilisés dans les façades des bâtiments royaux du Caire. C’est dans cette ville qu’étaient nommés les archevêques coptes nommés sur le diocèse éthiopien. De nombreuses délégations royales éthiopiennes s’y rendaient. Je soutiens donc que la "fenêtre gothique" de Beta Maryam fut, dans son contexte éthiopien, un symbole royal mamelouk utilisé pour permettre l’appropriation de l’ancien complexe rupestre de Lalibela par la dynastie régnante des Solomonides.


 22 et 23 novembre : lieux - Bibliothèque nationale de France, salle des conférences, 5 rue Vivienne, 75002 Paris (22 novembre) ; Institut d’Études Avancées de Paris, Hôtel de Lauzun, 17 quai d’Anjou, Paris 4è (23 novembre)

Les journées d’études des 22 et 23 novembre : « Dans les carnets d’un savant-voyageur en Éthiopie. Transcrire et éditer les carnets d’Antoine d’Abbadie (mi-XIXe s.) » remplacent la séance du 24 novembre. Il sera vu au cas par cas avec les masterant·es comment ils peuvent y assister en fonction de leur calendrier. Il leur est recommandé de privilégier la conférence inaugurale d’Hélène Blais le mercredi après-midi, précédé d’une présentation des manuscrits éthiopiens de la BnF.


 8 décembre : lieu - INHA, Galerie Colbert, salle Giorgio Vasari, 2 rue Vivienne - 75002 Paris

La séance est couplée à la session de l’après-midi de la journée d’étude « Usages situés de la modernité. Repenser les récits de l’art depuis l’Afrique » qui aura lieu ce même jour à l’INHA.


 22 décembre :

Mathilde Alain (Warwick Univ.), « Étudier et utiliser le récit de voyage de Francisco Álvares en Éthiopie : méthodologie, sources et pistes de recherche (XVIe siècle) ».


 12 janvier 2024 :
journée dédiée à la présentation des travaux des masterant·es


 26 janvier :
Camille Lefebvre (IMAF), « Langues archivées, paroles gelées : questionner des documentations afropéennes ».

Au Caire, ou peut-être à Jérusalem, en 1904 ou peut-être en 1903, deux hommes d’environ une quarantaine d’années se rencontrent : un lettré kanouri Hažž Mǔsa ibn H̥isên qui s’est installé dans la capitale égyptienne pour poursuivre des études de troisième cycle à la mosquée al-Azhar et un linguiste amateur allemand, Rudolph Prietze qui cherche à collecter les matériaux nécessaires à la réalisation d’une thèse de doctorat. Ces hommes nouent une collaboration intellectuelle et amicale qui durera une dizaine d’années et qui donne lieu à une série de publications dans lesquelles Prietze est indiqué comme auteur et Musa simplement comme informateur. Cette intervention analysera la vie sociale de cet ensemble documentaire en langues africaines en reconstituant l’ensemble des contextes intellectuels et matériels qui ont présidé à sa production et des pratiques scientifiques et savantes qui sont au cœur de sa mise en œuvre.


 9 février :
Margaux Herman (INALCO, CESSMA) et Eloi Ficquet (EHESS, Césor) et Xavier de Saint Chamas (conservateur des monuments historiques, DRAC Bretagne), « Le Palais du Jubilé ou Palais National d’Addis Abeba : un joyau architectural de la guerre froide, longtemps dissimulé ».

C’est le palais d’une résurrection politique, celui d’un retour en force de la Trinité, dont le motif de l’étoile à trois branches prolifère sur les façades et les grilles des bâtiments officiels. Après avoir été chassé d’Ethiopie par la brutale invasion de l’armée fasciste italienne en 1935-36, l’empereur Hayle-Sïllasé 1er (dont le nom signifie Force-de-la-Trinité) accomplit un retour victorieux dès 1941, avec l’appui, et la mise sous tutelle provisoire, de l’armée britannique. Rétabli sur son trône, il lui faut reconstruire son autorité, d’une part face à la défiance des forces de résistance intérieure, d’autre part dans un contexte international marqué par la décolonisation et la polarisation des blocs idéologiques. L’une des multiples voies empruntées par le souverain pour réaffirmer son autorité est un programme architectural de réinvestissement de la capitale Addis Abeba, par la défascisation de la ville, l’érection de monuments commémoratifs, et la construction d’un nouveau palais qui prélude à d’ambitieuses constructions pour faire de la ville une plateforme panafricaine et internationale. L’année du Jubilé d’argent, 1955, correspond à la célébration des 25 ans du couronnement impérial, à la promulgation d’une nouvelle constitution, à l’affichage d’une politique de réformes, et à l’affirmation d’un culte de la personnalité, le tout soutenu par la multiplication de partenariats internationaux. Dès 1948 un concours international est lancé sous l’égide de l’UNESCO et de l’Union internationale des architectes pour concevoir les plans d’une nouvelle résidence impériale. La reconstruction de la souveraineté se place à l’abri des instances du nouvel ordre mondial, tout en se réservant la possibilité de ne pas tenir compte du concours et retenir des formes néo-classiques conformes aux grandes maisons royales d’Europe.
Cette présentation du Palais du Jubilé d’Addis Abeba propose différentes étapes des recherches associées au programme de réhabilitation du site actuellement en cours. Un premier plan large examine les sites palatiaux d’Addis Abeba et leur devenir, depuis l’enceinte royale (gïbbi) établie par Mïnilïk II à la fin du 19e siècle et continuellement investie, avec différents usages, par les régimes successifs. Un second plan analyse le programme architectural et ornemental du Palais du Jubilé, comme palais d’apparat tourné vers la modernité et la conformité aux des standards internationaux, dans une implantation éthiopienne. Enfin, observer la vie et les usages plus ordinaires, documenté par une abondante production filmique et photographique, ainsi que des témoignages de travailleurs du palais, permet de reconstruire des flux de mobiliers, d’objets et de bibelots et de les inscrire dans une histoire intime du pouvoir.



 1 mars :
Anaël Poussier (SIRICE), « Une histoire à parts égales de la famine de l’an six au Soudan-Est à travers les sources coloniales et mahdistes (1888-1890) »


 22 mars :
Birgit Ricquier (Université libre de Bruxelles), « Des arbres et des racines en linguistique à l’histoire des communautés en forêt équatoriale : le cas du nord-est de la République Démocratique du Congo ».

Quand le passé n’est pas documenté dans des textes écrits, et qu’une recherche dans les archives ne peut donc pas être appliquée, d’autres méthodes et sources historiques doivent être exploitées. C’est le cas du passé précolonial du nord-est de la République Démocratique du Congo. Les premiers textes datent du XIXe siècle, époque à laquelle la région était visitée par des commerçants arabo-swahili et des explorateurs européens. Pour atteindre les époques antérieures, il faut recourir à des disciplines telles que l’archéologie, l’étude de l’histoire vernaculaire, ou la linguistique historique comparée. Comme le dit C. Ehret (2005), les langues sont les archives du passé. L’étude de l’affiliation des langues fournit un arbre généalogique et nous permet d’identifier des communautés historiques et leurs migrations éventuelles. L’étude comparée des « racines », c’est-à-dire des mots dans leur forme de base, sans affixes, nous permet d’étudier l’histoire des objets, des techniques et des concepts culturels. La présente communication présente les acquis en linguistique comparée du projet BANTURIVERS (PI : Birgit Ricquier, ERC Starting Grant, ULB, 2019-2024).


 26 avril :
Cheick Sene (Bonn Center for Dependency and Slavery Studies, The Harvard University, Center for Italian Renaissance Studies) : « La fiscalité à l’ère de la traite négrière et du "commerce légitime" en Sénégambie XVIIe-XIXe siècle ».

Du XVIIe au XIXe siècle, l’économie de traite en Sénégambie est dominée par deux phases : la traite négrière (XVIIedébut XIXe siècle) et le commerce dit légitime (début XIXe siècle). Dès le XVIIe s., les Compagnies européennes de commerce s’installent le long des côtes sénégambiennes en accord avec les souverains qui leur donnent le droit de construire des forts, de pratiquer le commerce et de circuler librement sur les cours d’eau de leurs États. Ces accords donnaient lieu au versement régulier par les commerçants européens de redevances plus souvent en nature qu’en espèces, régies par des règles plus ou moins stabilisées, à des taux forts variables en fonction des contextes économiques, politiques et sociaux. Ces redevances dénommées coutumes étaient de deux types : les coutumes annuelles et les coutumes casuelles ou de traite. Ces coutumes ont permis aux Européens de commercer librement en Sénégambie. Ainsi, à partir de Saint-Louis, premier établissement français fixe en Afrique construit en 1659, les Français entretiennent avec les souverains de la Sénégambie des relations commerciales basées sur le commerce des esclaves, de l’or, de la gomme, de l’ivoire, des vivres, de l’arachide, des peaux et d’autres produits de consommation. Jusqu’au XIXe siècle, il était quasi impossible pour les Européens de commercer sans payer les coutumes, symbole de la souveraineté des États de la Sénégambie. Cependant, dans la seconde moitié du XIXe, les conflits et les abus répétitifs liés aux coutumes ainsi que le non-respect des engagements des chefs locaux qui devaient assurer aux commerçants européens la sécurité contribuèrent à la politique de suppression des coutumes par le gouverneur Faidherbe en 1854. Cette communication présentera les coutumes en expliquant leur typologie et leur composition tout en analysant leur rôle dans l’essor du commerce négrier ainsi que leur place centrale dans les relations politiques et diplomatiques entre les Européens et les souverains locaux.


 24 mai :
Robin Seignobos (Univ. Lumière Lyon 2, CIHAM), « L’émir et l’éparque : l’administration de la frontière égypto-nubienne à l’époque fatimide d’après les documents arabes de Qaṣr Ibrīm (XIe-XIIe siècles) ».

La frontière entre l’Égypte islamique et la Nubie chrétienne, localisée depuis la conquête arabe au niveau de la première cataracte du Nil, près de la ville d’Assouan, est un espace paradoxal qui sépare autant qu’il relie les sociétés installées de part et d’autre de celle-ci. Encore récemment ce que l’on savait de son administration à l’époque médiévale se fondait sur quelques laconiques mentions dans des sources "littéraires" (chroniques, récits de voyage, textes normatifs...) reflétant, le plus souvent, le point de vue du pouvoir central islamique sur ces marges lointaines. Or, la publication imminente d’un corpus de documents arabes mis au jour sur le site de Qaṣr Ibrīm (Basse Nubie) est sur le point de renouveler en profondeur notre compréhension du fonctionnement de cette frontière à partir, cette fois, de textes de la pratique émanant d’acteurs locaux. Nous nous intéresserons plus particulièrement, dans cette présentation, à la correspondance échangée entre les émirs de la tribu des Banū al-Kanz, qui contrôlaient la ville frontalière d’Assouan au nom des califes fatimides, et l’éparque de Nobadia qui représentait le souverain nubien dans la région comprise entre la première et la deuxième cataracte. L’analyse de ces lettres, datant pour la plupart de la seconde moitié du XIIe siècle, permet de saisir au plus près le rôle joué par les représentants locaux de l’administration en tant que garants de la sécurité des marchands et de la fluidité des circulations transfrontalières, mutuellement bénéfiques aux deux États. Mais nous verrons que l’émir et l’éparque sont également liés par des relations interpersonnelles, fondées sur l’échange constant de biens et de services, révélatrices d’une étroite imbrication des élites frontalières dont les intérêts communs transcendent les frontières étatiques et religieuses.

 21 juin :
Benjamin Weber (FRAMESPA), « Entre oralité et écriture. Transmission, diffusion, réinterprétation et réappropriations des récits sur l’interruption du cours du Nil en Éthiopie, XVIe-XXe siècles ».

Apparus en Égypte à la fin du XIIe siècle et assez largement répandus en Occident à partir du XIVe siècle, des récits attribuant aux rois d’Éthiopie le pouvoir d’interrompre le cours du Nil se sont également diffusés en Éthiopie. L’étude de cette diffusion est délicate à mener mais il semble qu’elle ait surtout été propagée par une tradition orale, ponctuellement mise par écrit pour répondre à des contextes spécifiques. Une réflexion globale sur les sources à notre disposition permet d’avancer certaines hypothèses sur l’élaboration et la transmission orale des récits dans la tradition éthiopienne et sur le réemploi de cette tradition orale dans des phases de réécriture de textes plus anciens. Cette analyse offre donc un regard sur le temps long des relations entre oralité et écriture dans la (les ?) société(s) éthiopienne(s) chrétienne(s).