Accueil > Axes de recherche

Axe 2 - Économies politiques et mondialisations africaines dans la longue durée

Cet axe inscrit les structurations économiques dans une histoire politique en insistant particulièrement sur les interactions réciproques entre économie, politique et société en Afrique dans la longue durée. Son objectif n’est pas de produire une histoire économique proprement dite mais d’envisager des objets économiques pour une meilleure compréhension du social et du politique en Afrique. Pour y parvenir, l’axe se déploie en cinq thèmes.

Tribut, impôt et fiscalité
L’enjeu de ce premier thème est de comprendre les choix de politiques économiques organisant le prélèvement des ressources, à différentes échelles et périodes. Les pouvoirs africains se sont constitués, entre autres, sur la maîtrise de ressources économiques diverses. Pour les États africains anciens, les revenus incluent des tributs de nature très diverses (produits locaux ou issus du commerce, produits agricoles, produits bruts ou transformés, métaux précieux et parfois valeur monétaire, etc.) ainsi que des prestations de travail. Des mutations dans le type de fiscalité sont visibles selon des chronologies variées avec la systématisation de l’administration par l’écrit et le chiffre, l’avènement d’États bureaucratiques et, en dernier lieu, une certaine globalisation des normes fiscales. Ces mutations n’empêchent pas des phénomènes d’hybridation des systèmes de fiscalité, bien au contraire.
Un dernier point, peut-être plus contemporain mais qui est aussi abordé dans la durée, est celui de la dette. Au niveau national, il s’agit bien sûr de mesurer le poids de celle-ci sur les budgets des États et de comprendre comment elle occasionne des modifications dans les fiscalités des États africains. Au niveau des individus, il s’agit de penser dans la durée les équilibres et les tensions régulés par les pouvoirs publics.

Foncier et systèmes agraires : enjeux sociaux et environnementaux
Quelle que soit la période, l’étude de l’économie politique en Afrique, comme ailleurs, ne saurait être abordée sans traiter aussi des questions de l’exploitation des ressources et de la structuration du foncier. En empruntant à l’écologie politique ou à l’histoire environnementale, il s’agit de comprendre comment se forment les politiques de gestion des ressources et ce qu’elles peuvent nous dire des structurations politiques et sociétales, particulièrement celles du passé.
Une piste proposée à la réflexion collective concerne l’accaparement des terres (land grabbing) au cœur de la globalisation des productions agricoles. Le phénomène de l’accaparement a une historicité qui dépasse largement l’actualité : la constitution de grands domaines du foncier dans le royaume chrétien d’Éthiopie au XVIIIe siècle, les concessions coloniales des XIXe et XXe siècles, et bien avant les exploitations agricoles d’exportation sur la côte swahili (shamba), ainsi que les exploitations intensives africaines pour la production de produits d’exportations (huiles, sucre, etc.), sont autant d’exemples qui prouvent que les enjeux de maîtrise du foncier dans un objectif de rente ont une histoire. Les questions touchant les régimes de transmissions/cessions de propriétés, et les politiques de titrement sont également au cœur de l’enjeu économique lié à la reproduction ou aux mutations des hiérarchies socio-économiques.

Commerce extérieur et consommation
L’Afrique s’inscrit dans circuits commerciaux mondialisés de longue durée qui ont façonné la géographie économique et les formations politiques africaines. L’intelligence économique en Afrique est historiquement formée par des interactions marchandes, organisées depuis les pôles économiques mondiaux dont certains sont bien évidemment africains. Dresser ces cartographies économiques peut permettre de restituer les échelles de valeur dominant les marchés jusque dans des espaces faiblement monétarisés.
Une attention particulière est portée aux aspects matériels de ces liens commerciaux et non sur la cyclisation des systèmes de production destinés à l’exportation. L’analyse de cette ouverture économique peut se mesurer à l’aune des importations, notamment de produits manufacturés et industriels. Cela permet d’envisager les modifications de la vie matérielle. L’évolution des modes de consommation et le goût pour les produits d’importation constituent la part culturelle de nouveaux marchés pour les industries manufacturières. De leur côté, l’usage des produits agricoles fait l’objet d’une approche engageant le temps long, comme dans le cas de la domestication des plantes, source de profondes modifications sociétales.

Impérialismes, hégémonies, monopoles
L’historiographie des empires est en pleine expansion mais demeure trop souvent construite depuis les anciennes métropoles. L’objectif de ce thème est de déplacer la focale vers les sociétés africaines impliquées dans différentes situations impériales et/ou coloniales dans la longue durée. Cela suppose l’emploi d’une méthode d’histoire connectée ré-envisageant les situations impériales à travers la confrontation des sources et des traditions historiographiques de plusieurs origines (textes et archives issus des administrations coloniales, documentations en langues vernaculaires…). Il s’agit donc de comprendre comment les empires construisent des économies spécifiques, structurant des échanges dans l’espace. Diverses « situations impériales » sont analysées : Éthiopie chrétienne et musulmane, Buganda, Madagascar, Empires soudanais au XIXe siècle.
Au-delà des empires africains, et dans une compréhension des mécanismes de mondialisations, les organisations mercantilistes ou libre-échangistes fondées par les différentes puissances impériales européennes sont abordées (Empire portugais du XVIe au XVIIIe siècle ou empires français et britannique des XIXe et XXe siècles). Ces économies impériales fondent des circuits économiques qui persistent bien au-delà des indépendances et participent de la structuration contemporaine des échanges internationaux dans laquelle l’Afrique est partie prenante.

Esclavages, traites et dépendances
Ce thème envisage les liens entre travail et statuts sociaux en Afrique dans la longue durée. Il aborde d’abord l’esclavage en tant que système par l’économie de la violence et de la punition ainsi que par l’étude des traites (quantification des flux, routes, histoires de vie, liens avec d’autres formes de commerce, etc.). Il observe le rôle de ces systèmes (serviles, esclavagistes) dans la production des hiérarchies sociales à travers de multiples points de vue : le rôle des missions dans la « libération »/rachat des esclaves et la formation de nouvelles classes sociales ; les formes de l’asservissement telles que les corvées, le travail forcé, les prestations de travail dans l’administration coloniale puis post-coloniale ; les formes de travail contraint dans des situations plus contemporaines (engagisme, domesticité, etc.) et parfois même à travers le travail salarié, tel qu’il se déploie par exemple dans l’agriculture contractuelle.
La traite des esclaves vers l’Amérique, l’Afrique du Nord et le Moyen Orient modifie considérablement les flux de main d’œuvre entre l’Afrique et les autres régions du monde. Si l’abolition des traites correspond à un rythme spécifique, on constate l’apparition d’autres formes de migrations forcées de travailleurs. L’engagisme ou indentured labour perpétue les anciennes routes de la traite sous des formes renouvelées. Les bassins de recrutement se maintiennent (Afrique de l’Est, Afrique centrale) et permettent aux colonies de plantation des Antilles et des Mascareignes de se doter d’une main d’œuvre bon marché, qui vient suppléer les travailleurs anciennement enfermés dans le statut d’esclave. Les conditions de recrutement, de transport, les modes d’insertion des travailleurs africains qui furent « engagés », librement ou par rachat font l’objet d’études spécifiques, notamment dans les colonies de l’océan Indien.
Les transitions dans les mondes du travail entre les systèmes esclavagistes et le travail salarié sont au cœur de l’évolution de la dynamique économique et sociale, notamment pendant la colonisation. Les périodes d’abolition de l’esclavage, les modalités de ces abolitions, manifestent la modification profonde des modes de production en Afrique. La « libération » des individus de statuts serviles est un acte fondateur qui permet de faire basculer les sociétés, d’abord vers le travail forcé puis, une génération plus tard, dans un système monétaire et financier permettant le salariat et en définitive l’insertion dans le monde capitaliste. La transition entre esclavage et salariat institue un remaniement social qui permet à certaines catégories de s’élever socialement. Il s’agit pour autant de saisir si le remaniement bouleverse ou non l’essentiel des hiérarchies sociales antérieures.
On ne peut enfin se passer d’analyser le poids des esclavages dans la production des identités contemporaines et la résurgence des macules du passé, notamment du fait de l’indéniable continuité historique des situations subalternes, que ce soit pour celles des groupes d’esclaves ou celles des groupes statutaires dévalorisés. Il existe aussi des discontinuités géographiques et un recours aux mémoires diasporiques. Ces questions d’éthique ou de mémoire sont cruciales pour comprendre les identités contemporaines et les stratégies de réappropriation du passé.