Accueil > Axes de recherche

Axe 4 - Les espaces du religieux : généalogies, textualités, matérialités

Cet axe examine la polysémie des dynamiques religieuses en Afrique en étudiant à la fois leur dimension politique (idéologies de l’islam, constructions religieuses de la nation…), leurs expressions conflictuelles et violentes, leurs manifestations rituelles et « textuelles », ainsi que les circulations et les recompositions religieuses en contexte migratoire.

Politiques du religieux : fabrique de la nation, des idéologies et des catégories
Ce premier sous-thème interroge les idéologies de l’islam en Afrique de l’Ouest et notamment l’espace Mali-Burkina Faso-Côte d’Ivoire. Les deux énoncés « islam » et « Afrique » sont envisagés comme des opérateurs de sens permettant d’agréger et de reformuler des ressources idéologiques circulant au niveau global : afrocentrisme islamique comme émancipation à l’égard de l’Occident et du monde arabe ; resémantisation du salafisme à travers une stratégie francophone de la modernité ; critique de la démocratie libérale comme laisser-faire au profit d’une réification de la République régulatrice du bien commun ; reconquête de la bureaucratie d’État et éthique de l’efficacité ; charia et économie morale du développement. Les recherches s’attachent à analyser les profils de ces nouveaux intellectuels musulmans qui reconfigurent et fragmentent l’autorité religieuse en produisant de nouvelles textualités, y compris orales et numériques.
Une approche ethnographique des pratiques de l’islam dans l’Algérie contemporaine vise à décrypter les diverses manières de se voir, de se vivre et de se montrer musulman(e), allant de l’intériorisation des normes localement dominantes et de la soumission à celles-ci, à la démarche militante pro ou anti islam rigoriste, en passant par une déconstruction des catégories relatives à ces positionnements (salafisme, puritanisme, rigorisme, etc.).
D’autres travaux portent sur la patrimonialisation du soufisme, notamment entre l’Algérie, le Maroc et le Tchad. La patrimonialisation en cours d’une « philosophie soufie des confréries », publiquement revendiquée, est devenue une stratégie d’investissement de l’espace politique pour lutter contre les radicalismes religieux. Installées désormais comme institutions majeures au cœur des enjeux religieux, sociaux et économiques, les confréries soufies, longtemps minorées, folklorisées, refoulées vers l’espace privé et la clandestinité, redeviennent aujourd’hui, face à la montée de l’islam radical, des acteurs convoités de la vie politique et de la médiation sociale.
Prenant de la distance avec le présent, des recherches revisitent l’histoire religieuse et l’anthropologie historique de la Côte d’Ivoire et de l’espace centrafricain. Elles analysent la dimension religieuse de la fabrique de la nation et de l’État ivoiriens sur le temps long du XIXe siècle précolonial au XXIe siècle mondialisé. L’approche croise l’étude de toutes les religions en présence, dans leurs influences réciproques et leurs rivalités. Depuis les archives missionnaires et administratives de l’ancien Oubangui-Chari, ces recherches explorent la généalogie des notions et catégories au travers desquelles s’est fixée l’appropriation populaire et savante de l’espace centrafricain.

Conflits, violence, pacification
En Centrafrique comme auprès des déplacés et réfugiés centrafricains au Tchad voisin, les recherches se poursuivent afin d’interroger la mobilisation des catégories religieuses au sein de familles et de communautés protagonistes des violences meurtrières. Elles prennent en compte l’investissement récent en Centrafrique de différents acteurs prônant des politiques de « pardon », de « réconciliation », voire l’impulsion de dynamiques de justice supranationale, non-étatique ou « coutumière » qui ne sont pas sans rappeler les « politiques du pardon » mises en œuvre dans d’autres situations post-conflits (Afrique du sud, Rwanda, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire) dans lesquels les acteurs religieux ont souvent joué des rôles de premier plan. Un autre aspect de cette approche est centré sur la mobilisation des mémoires, à travers la réalisation d’un documentaire filmant les initiatives et les réactions, publiques et populaires, qui investissent les restes du passé et les artefacts anciens de l’espace tchado-centrafricain.

Théories et pratiques du rite : textualité, configurations de pensée, expériences
Une réflexion transversale sur la fonction anthropologique des rites interroge la pertinence, en contexte africain, de l’opposition énoncée par Marcel Granet sur la Chine classique entre gouvernement par les lois positives et gouvernement par les rites. Un point d’entrée est la relecture critique de l’approche structuraliste de l’interdit et du rite, laquelle a manqué un point de discrimination essentiel entre le régime des interdits et l’empire des lois positives, entrainant une forme d’indifférence théorique face à la question de la fonction de censure des interdits, et, de façon plus générale, à une anthropologie de la loi. Il s’agit aussi d’explorer la « textualité » des rites, c’est-à-dire les propriétés constitutives des textes oraux énoncés en situation de rituels. Trois lignes principales guident ce point : identifier ces propriétés ; mesurer leurs effets sur le plan concret de l’expérience éprouvée par les actants du rite ; théoriser la place qu’occupe cette textualité des rites au fondement du lien social.

Circulations, rencontres et recompositions religieuses
Les circulations du religieux s’articulent à la fois aux migrations et à des processus transnationaux déterritorialisés. Elles sont ici envisagées à l’échelle ouest-africaine selon des axes migratoires historiques tel que l’axe ivoiro-burkinabé, mais aussi dans des espaces tels que l’Atlantique sud, le Golfe de Guinée, à partir des circulations religieuses entre l’Afrique et l’Asie, ou encore dans les sociétés occidentales contemporaines via l’analyse de pratiques rituelles relevant du New Age, du Néo-paganisme et du développement personnel. En contexte migratoire, le secteur confessionnel offre aux migrants désorientés un accès aux services sociaux de base (santé, éducation, action sociale), particulièrement en milieu urbain. Ces circulations religieuses donnent ainsi lieu à des productions culturelles, à de nouvelles rencontres et à des recompositions qui permettent de penser les dynamiques des sociétés africaines. Elles sont analysées en revisitant des concepts tels que le syncrétisme, le mimétisme ou la conversion, qui permettent d’appréhender la porosité des frontières identitaires et des adhésions religieuses.