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Histoire sociale de l’Afrique Orientale, de la Mer Rouge et de l’Océan indien, XIXe-XXe siècles : archives, corps, subjectivités

Séance du 10 juin 2016, de 14h à 17h
EHESS, Bâtiment Le France, salle du conseil B, R-1, 190-198 av de France, 75013 Paris

Les archives du génocide

 Hélène Dumas, chargée de recherche CNRS-LAM, helenedumas.uw@gmail.com,
Les voix du génocide : une étude des témoignages judiciaires des survivants (TPIR, gacaca)

Résumé :
En dépit de la grande diversité des politiques de justice mises en œuvre à la suite du génocide des Tutsi, un constat s’impose : le procès est centré sur la figure et la parole de l’accusé. Les victimes survivantes demeurent dans l’ombre d’une organisation judiciaire au sein de laquelle leur place est secondaire, leurs récits âprement contestés, leurs témoignages instrumentalisés par les logiques agonistiques du procès. Les limites inhérentes aux sources judiciaires – qui dépendent par ailleurs de leurs conditions très spécifiques de production – ne doivent cependant pas décourager l’exploration d’un immense corpus archivistique, nourris des très nombreux témoignages produits par les survivants. Un double intérêt guide une telle entreprise. D’abord, la parole ainsi déployée devant les tribunaux fraye un accès à l’analyse historienne et anthropologique de l’expérience survivante. Expérience encore peu explorée par une historiographie essentiellement attachée à restituer les logiques d’investissement massif dans les massacres, s’appuyant donc sur la parole des tueurs. Ensuite, la mobilisation de telles archives permet de rendre compte d’une seconde échelle d’expérience, celle de l’après-coup judiciaire. En présentant une série d’extraits de témoignages issus du TPIR et des gacaca, il s’agira de réfléchir à leur éventuel apport dans le dévoilement d’une histoire des survivants depuis le génocide de 1994.

Bibliographie :
• H. Dumas, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2014.

• Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas, « Le génocide des Tutsi rwandais, vingt ans après. », dossier, in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°122, avril-juin 2014.

• « La place des témoignages de victimes dans l’historiographie du génocide des Tutsi au Rwanda », entretien réalisé par Boris Adjemian, Alexandra Garbarini et Rémi Korman, Études arméniennes contemporaines, n°5, juin 2015, p.195-207.

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 Florent Piton, doctorant contractuel à l’université Paris 7 - Denis Diderot – CESSMA,
florentpiton1@gmail.com,
Le génocide invisible ? L’apport des archives administratives dans l’écriture de l’histoire locale de la violence au Rwanda (1990-1994)

Résumé :
Un simple détour aux archives nationales à Kigali, ou dans tout autre dépôt d’archives locales, le confirme : l’État rwandais était un grand producteur de papiers, des volumineux rapports annuels transmis par les administrations à la correspondance quotidienne entre les services, en passant par les procès-verbaux de réunions ou les multiples rapports sur la démographie, la sécurité, la production agricole, l’éducation, ou le nombre de chèvres vendues au marché. Ce constat, bien documenté sur la deuxième République (1978-1990), est tout aussi vrai pour la période de la guerre et du génocide (1990-1994). Alors que l’historiographie récente de cette période mobilise surtout les archives judiciaires et les sources orales, ma communication vise à interroger l’intérêt heuristique de ces archives administratives pour une histoire locale de la violence au Rwanda entre 1990 et 1994. Les massacres et les attaques ciblées contre les Tutsi sont certes largement ignorés de ces archives, tout autant que la mobilisation des organes de l’État dans la polarisation ethnique. Doit-on pour autant en conclure à l’invisibilité du génocide et des violences qui l’accompagnent dans ce corpus documentaire ? Sa lecture informe en effet la mise en place des structures de l’autodéfense civile dans le cadre de la guerre, de même que l’intensité des violences politiques sur les collines. On mesure ainsi la porosité qui s’installe entre les différents registres de violences, de guerre, politiques et génocidaires. En outre, l’attention portée à la « langue des archives », en français comme en kinyarwanda, vient redoubler les analyses sur les « mots du génocide » tels qu’ils ressortent des discours publics ou des médias écrits et radiophoniques. Enfin, l’examen des lignes de force, des creux et des silences de ces archives dresse les contours d’un espace mental irrigué par la peur et la menace, dans un contexte marqué par la guerre et le multipartisme. Le matériau archivisitique ne nous permet donc pas seulement d’écrire une histoire factuelle, et en quelque sorte positiviste, du génocide perpétré contre les Tutsi. Il est une porte d’entrée vers les pratiques, les discours et les représentations qui conditionnent la nature du dernier génocide du XXe siècle.

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