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Résilience des Baka face aux mutations socio-environnementales (Cameroun)

Soutenance de thèse de Jean-Pierre Nguede Ngono
Directeurs de thèse (cotutelle) : Jean Paul Colleyn et Godefroy Ngima Mawoung
Le 16 décembre 2016, 9h, EHESS, salle de réunion de l’IMAF, 2è étage, 96 bd Raspail, 75006 Paris

Jury :
 Jean Paul Colleyn, D.E. à l’EHESS
 Alain Froment, D.R., IRD
 Godefroy Ngima Mawoung, M.C. à l’Université Yaoudé 1
 Luc Mebenga Tamba, M.C. à l’Université Yaoudé 1
 Paulette Roulon Doko, D.R. CNRS
 Antoine Socpa, M.C. à l’Université Yaoudé 1

Résumé :
L’intensification des pressions sur les ressources forestières et la déforestation ont contribué à rendre plus incertaine. En effet, les transformations qui en découlent de nature économique, sociale et environnementale les affectent avec gravité. Pour comprendre la dynamique de l’adaptation dans ce contexte, il y a de bonnes raisons de s’intéresser aux minorités ethniques, à leur culture et par extension, à leur devenir, notamment quand il s’agit des peuples écologiquement vulnérables, c’est-à- dépendant au plus près des ressources du milieu naturel, comme c’est le cas des Baka. il serait illusoire de penser qu’il s’agit là de populations « fossiles », figées dans un passé qui nous permettrait d’appréhender, à travers un fonctionnement conservé, le mode de vie des hommes préhistoriques. Qu’il s’agit des pygmées Baka ou d’autres populations dites minoritaires ou « autochtones » à travers le monde, ces communautés ont une conception propre de l’être et de l’agir, qui se transforme en fonction d’un contexte écologique et social en mouvement. Elles ont cependant un mode de vie spécifique qui répond difficilement aux normes des groupes majoritaires, lesquels se donnent pour référence les valeurs de la modernité.
Dans mon travail de recherche je propose une analyse approfondie de la résilience au sein des communautés de chasseurs/cueilleurs, les Baka du Cameroun. Ces communautés, jadis nomades, habitaient la forêt où elles tiraient l’essentiel de leur vie et survie. Aujourd’hui qu’elles ont été déplacées de leurs territoires ancestraux pour des raisons de création d’aires protégées, de complexes agro-industriels, d’exploitation forestière et d’exécution de grands projets miniers, ces communautés doivent se reconstruire une nouvelle vie qui intègre les exigences de la sédentarisation.
La question de l’adaptabilité des pygmées au contexte de la modernité a déjà été abordée par nos devanciers comme Lucien DEMESSE (1965), Gérard ALTHABE (1980), Félix LOUNG (1986) et très récemment encore Christian LECLERC (2001). Il ressort de leurs études que l’adoption de la nouvelle technologie par les pygmées dans le domaine de l’agriculture est une preuve de l’adaptabilité. Dans cette perspective, l’adaptation des pygmées semble se réduire au simple usage des techniques modernes d’acquisition des produits alimentaires ce qui moi paraissait incomplet.
Ainsi pour compléter ces recherches, j’ai convoqué le concept de résilience qui semble décrire le mieux la situation actuelle des pygmées et traite des stratégies mises sur pied par les acteurs (Baka/Etat/Société civile) impliqués dans le processus de construction d’une nouvelle ville .
D’où l’hypothèse formulée suivante : la résilience des pygmées Baka face aux mutations socio environnementales s’appuie sur leurs savoirs écologiques et savoir-faire ainsi que par la société civile et l’Etat du Cameroun. Ces stratégies constituent les dynamiques endogène et exogène qui sont les fondements même de la résilience.
Pour cerner cette réalité, j’ai choisi deux villages dans la région du Sud-est Cameroun principalement, Moangué le Bosquet et Ayéné. Les critères de choix de ces villages ont été l’accessibilité et la présence effective des acteurs d’accompagnement à savoir, les associations Baka, la société civile (ONG nationales et internationales) de l’Etat du Cameroun.
Ainsi donc mes missions de « terrain » m’ont permis d’analyser les rapports entre les différents acteurs engagés dans la résilience des Baka. Ensuite j’ai intégré d’abord le village Moangué où les entretiens approfondis et les observations ont été menés sur leurs savoirs écologiques et savoir-faire leur permettant de s’adapter à la nouvelle vie. Ensuite, je me suis intéressé aux représentations culturelles des changements environnementaux.
Enfin, j’ai analysé les politiques de préservation du patrimoine culturel et les droits des Baka. Ces activités m’ont permis de consulter les dispositions internationales des nations unies et surtout celles du Cameroun. Toutes les données collectées sont analysées sont analysées à partir des approches de l’écologie culturelle de Julian STEWARD, de l’approche systémique de BENNET et des dynamismes adaptatifs. Ces théories doivent être comprises ici comme le tricotage qu’annonçait Boris CYRULNIK. Mes résultats montrent que les Baka s’appuient sur leur dispositif culturel comme les savoir-faire d’exploitation de l’environnement forestier pour s’adapter à la modernité. En plus, ils empruntent de nombreux éléments culturels de leurs congénères Bantous pour s’arrimer à la modernité.
Par ailleurs, la création d’associations baka comme ASBAK, OKANI et l’implémentation de leurs activités de sensibilisation sur la scolarisation, la formation, la pratique de l’agriculture durable sont des éléments qui concourent à leur auto détermination.
En outre, la société civile camerounaise (RACOPY) encourage cette sensibilisation et met un accent particulier sur le développement des infrastructures. La construction des écoles et centres de santé, l’accès aux terres et la défense des droits des pygmées constituent le socle de l’accompagnement.
Dans le même élan, l’Etat du Cameroun met sur pied plusieurs programmes de développement visant l’amélioration des conditions de vie des Baka comme le PDPP (projet de développement des peuples pygmées). Ce projet, en cours d’exécution intègre sept principaux axes nécessaires interpellant la résilience des communautés Baka. Dans la même optique, presque toutes les institutions ministérielles prévoient des actions visant l’accompagnement des Baka dans ce vaste processus d’adaptation à la vie moderne.
Malgré ces avancées considérables, on note encore beaucoup d’obstacles à cette résilience. Notamment, le commerce de l’alcool frelaté, toléré par les pouvoirs publics, l’éternel assistanat des hommes de bonne volonté, le célèbre « toitoi » (toujours recevoir des autres sans rien proposer en retour) des Baka, la discrimination des Bantou, la menace constante de l’instabilité politique de la République centrafricaine, la non consultation des Baka dans la conception des projets de leur développement, etc. En plus, au niveau international, les pygmées se font toujours représentés par la société civile et certaines structures étatiques. Ainsi donc, les dispositions internationales (convention 169) émises en faveur des peuples autochtones n’ont jamais été entérinées par l’Etat du Cameroun.
En conclusion le concept de résilience s’avère opératoire pour évaluer l’adéquation des politiques d’accompagnement des minorités par les acteurs de développement et un outil de compréhension de l’adaptabilité de ces sociétés en transition rapide.

Mots-clés :
Résilience, mutations socio environnementales, Baka.