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Femmes, genre et politique dans les sociétés musulmanes : Un renouveau historiographique ?

Appel à articles pour la revue Genre et Histoire, n°25 (2020)

Depuis les années 1980, la place des femmes dans l’Islam et dans les sociétés musulmanes a fait couler beaucoup d’encre. En histoire, en anthropologie et en sociologie, plusieurs travaux ont analysé les sociétés du Maghreb et du Moyen Orient au prisme du genre. Les thèmes abordés furent en particulier les imbrications entre Islam, genre et modernité, l’interpénétration des différents espaces religieux et laïques féminins/masculins, le processus de réforme du droit de la famille, l’éducation féminine, le féminisme, ainsi que le militantisme des femmes dans le cadre des mouvements anticoloniaux et nationalistes et des mobilisations collectives les plus récentes.[1] Dans l’élan du renouvellement thématique et méthodologique porté par cette riche littérature, plusieurs chercheur.es se sont très rapidement focalisé.es sur les imaginaires et les pratiques du harem et du voile, principalement en sociologie, mais aussi en histoire.[2]

Dans la continuité de ces travaux, qui ont participé à dépasser l’image de la « femme musulmane » comme un simple sujet subalterne et invisible, pour celle d’un sujet « actif » des processus historiques dans l’espace national et surtout de l’État national postcolonial, nous souhaitons réunir des contributions qui privilégient une perspective transnationale. Il s’agira, d’un côté, de briser les frontières des histoires nationales depuis la focale des histoires des femmes actives dans les sociétés à majorité musulmanes d’Afrique, du Moyen Orient et d’Asie.

La littérature historique sur le genre et l’Islam s’est avant tout focalisée sur le lien entre Islam, genre et nationalisme, à travers le cas égyptien et notamment avec la mise en lumière d’acteurs féminins de premier plan comme Huda Sharawi (1879-1947) et Nabawiyya Musa (1886-1951). Ces pionnières du mouvement féministe égyptien s’engagèrent pour les droits politiques et civiques des femmes, contre les mariages précoces et pour leur droit à l’éducation, dans le cadre du processus de construction de la nation. Leur étude, rendue possible grâce à l’existence d’une riche production littéraire autobiographique féminine, reste une contribution essentielle, et surtout précurseure, pour l’histoire des femmes dans la région.[3] Certes, il s’agit d’un groupe d’intellectuelles seulement représentatives d’une frange de la société égyptienne souvent issue des familles de l’aristocratie turco-égyptienne et de la bourgeoisie, qui voyaient l’Europe comme modèle émancipatoire. En revanche, exception faite de l’Égypte, il existe un problème lié à la nature même des documents historiques disponibles, au sein desquels les voix des femmes sont rares et très fragmentaires. Cette rareté pose avant tout des problèmes d’ordre méthodologique. En effet, nous devons nous interroger sur ses causes, et notamment sur la prise de position adoptée lors de la constitution des archives, dans un contexte où l’autorité sociale et politique des femmes musulmanes fut le plus souvent ignorée par le pouvoir colonial, puis par les États-nations.[4]

Ce numéro thématique vise à réunir des études qui pourraient apporter un éclairage historique aux problématiques soulevées par la littérature sociologique et anthropologique, en dépassant la construction réductrice de la femme musulmane en tant que groupe homogène. Pour cela, nous souhaitons explorer l’hétérogénéité des histoires des femmes musulmanes depuis la fin de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui, afin de déconstruire les significations sociales et symboliques auxquelles cette catégorie est associée.[5] En particulier, nous souhaitons que les auteur.es mettent en avant la méthodologie utilisée pour répondre aux défis liés au silence des archives institutionnelles, comme l’accès aux archives de famille, aux matériaux iconographiques et audiovisuels, aux sources orales, etc.


Parmi les thématiques qui peuvent être abordées, sans exclusive :

 Les systèmes normatifs et les changements sociaux (questions juridiques et pratiques liées au statut personnel musulman, aux droits civils et politiques, aux recompositions familiales, migrations et déplacements forcés).
 La visibilité physique et sociale des femmes musulmanes (dans le rapport avec le pouvoir, dans les espaces intimes et/ou politiques).
 Les trajectoires individuelles et les expériences subjectives (à travers l’écriture de soi, dans les carnets intimes et les archives familiales).
 Les représentations, les imaginaires et la dimension performative (dans les médias, la mode, les arts visuels).
 L’écriture de l’histoire en tant qu’histoire des femmes en Islam.

Les propositions, de 3 000 signes maximum, en italien, espagnol, anglais ou français, sont à envoyer accompagnées d’un CV à Silvia Bruzzi (silviabruzzi@yahoo.it) et Lucia Sorbera (lucia.sorbera@sydney.edu.au) avant le 15 novembre 2018. La sélection entre les propositions sera faite au plus tard le 15 décembre 2018.

Les articles retenus, en anglais ou français, devront être remis pour le 30 mai 2019. Ils seront soumis à évaluation avant leur acceptation finale.

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[1] L’historiographie sur le genre est plus riche dans le monde anglophone, avec plusieurs travaux sur la Syrie et l’Égypte. Voir à ce propos : Nelly Hanna, ‘Sources for the Study of Slave Women and Concubines in Ottoman Egypt’. In : A. el Azhary Sonbol (dir.). 2005. Beyond the Exotic. Women’s Histories in Islamic Societies, Syracuse IP, p. 119-130. Au Maghreb, la littérature est plutôt marquée par l’historiographie francophone, plus centrée sur l’histoire des femmes que sur l’histoire du genre et qui se focalise principalement sur le militantisme féminin. Voir à ce propos : Dakhlia Jocelyne. 2014. ‘L’historiographie du Harem au Maghreb : la fin d’une histoire des femmes ?’, NAQD, 2 (Hors-série 3), p. 191-209. Sur l’Algérie voir : MacMaster, Neil. 2012. ‘Des révolutionnaires invisibles : les femmes algériennes et l’organisation de la Section des femmes du FLN en France métropolitaine’. Revue d’histoire moderne et contemporaine, 59-4, 4, pp. 164-190. La littérature sur le Maghreb est très vaste. Une étude désormais classique est Daoud, Zakya. 1996. Féminisme et politique au Maghreb : sept décennies de lutte. Casablanca : éd. Eddif. Voir aussi : Leyla Dakhli et Stéphanie Latte Abdallah. 2010. ‘Un autre regard sur les espaces de l’engagement : mouvements et figures féminines dans le Moyen-Orient contemporain’. Le Mouvement Social, 231, 2, pp. 3-7.

[2] Dakhlia, Jocelyne. 1999. ‘Entrées dérobées : l’historiographie du harem’. Clio. Histoire‚ femmes et sociétés. Sur l’harem du souverain : Peirce, Leslie Penn. 1993 The Imperial Harem. Women and Sovereignty in the Ottoman Empire, Oxford : Oxford university press ; Leila Hanoun. 2011. Le Harem impérial au XIX siècle. Bruxelles : A. Versaill. La littérature sociologique sur le voile est très riche. Une problématique souvent abordée est celle du rapport avec la ‘tradition’ et la ‘modernité’. Voir par exemple : Nilüfer Göle. 1993. Musulmanes et modernes : voile et civilisation en Turquie. Paris : La Découverte. Voir aussi : Nadia Marzouki. 2015. ‘La réception française de l’œuvre de Saba Mahmood et de l’asadisme’.Tracés. Revue de Sciences humaines .

[3] Margot Badran et Miriam Cooke. 1990. Opening the Gates. Bloomington : Indiana University Press ; Badran, Margot. 2009. Feminism in Islam : Secular and religious convergences. Oxford : Oneworld Publications. Sur le féminisme et le nationaliste égyptienne voir par exemple : Badran, Margot. 1995. Feminists, Islam, and Nation. Gender and the Making of Modern Egypt. Princeton : Princeton University Press ; Baron, Beth. 2005. Egypt as a Woman. Nationalism, gender and politics. Berkeley : university of California Press. Voir aussi Hopkins, Nicholas S. (ed.) The new arab family. Vol. 24. No. 1-2. American Univ in Cairo Press, 2003 ; Sonia Dayan-Herzbrun. 2005. Femmes et politique au Moyen-Orient. Paris : L’Harmattan, Collection « Bibliothèque du féminisme ».

[4] Chaudhuri, Nupur, Sherry J. Katz et Mary Elizabeth Perry (dir.). 2010. Contesting Archives : Finding Women in the Sources. Urbana, University of Illinois Press.

[5] Lazreg, Marnia. 1990. ‘Gender and politics in Algeria : unraveling the religious paradigm’. Signs : Journal of Women in Culture and Society 15.4 : 755-780 ; Lazreg, Marnia. 1988. ‘Feminism and difference : the perils of writing as a woman on women in Algeria’. Feminist studies 14.1 : 81-107 ; Abu-Lughod, Lila (ed.) 1998. Remaking women : Feminism and modernity in the Middle East. Princeton : Princeton University Press ; Abu-Lughod, Lila. 1987. Veiled sentiments : Honor and poetry in a Bedouin society. Berkeley : University of California Press.