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Anthropologie comparative du Sahel occidental musulman

Séminaire organisé par Amalia Dragani, membre associée (LAS), Pietro Fornasetti, doctorant à l’EHESS (IMAF), Ismael Moya, chargé de recherche au CNRS (LESC), Abdel-wedoud Ould-Cheikh, professeur à l’Université de Lorraine, Jean Schmitz, directeur de recherche à l’IRD (IMAF), et Etienne Smith, Chercheur associé, CERI (Sciences Po Paris).

Année universitaire : 2018 / 2019
Périodicité : 1er, 3e et 5e mercredis du mois de 15h à 17h
Localisation : IMAF, salle de réunion, 2e étage, 96 bd Raspail 75006 Paris.
La séance du 19 décembre aura exceptionnellement lieu en salle de réunion du CRAL, 1er étage, 96 bd Raspail.
Calendrier : Du 21 novembre 2018 au 19 juin 2019

Présentation :
Ce séminaire est consacré à l’anthropologie comparative des sociétés du Sahel occidental musulman (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger...) et de leurs diasporas, régionales et internationales. Nous poursuivons cette année l’étude de quatre thématiques : l’islam, les hiérarchies sociales de castes et d’esclavage, la migration ainsi que les relations de genre pour s’interroger sur l’unité de cette région. Loin de considérer les différentes configurations saheliennes comme des espaces disjoints, on s’attachera à comprendre leur continuité dans une perspective comparative en s’intéressant à l’historicité et la cohérence des économies morales, des institutions et des valeurs qui les organisent. Il s’agit enfin de dépasser les problématiques centrées sur des groupes définis en soi ou par leur origine, au profit de l’étude des dynamiques politico-religieuses de la région (djihad du XIXe, réformisme musulman…) et de l’analyse des relations qui constituent et articulent les catégories sociales locales et rendent compte de leur mutabilité : superposition (intersectionnalité), substitution, occultation.
Les thématiques abordées cette année seront variées : les répertoires de la honte, la mise en perpective des réformismes musulmans en passant par les frontières sahariennes de l’europe ou l’historicité des tensions agro pastorales en arrière plan de Boko-Haram (Nigeria/Cameroun) de la crise du Mali central.

CONTACT :
ismael.moya(at)cnrs.fr

PROGRAMME

 21 novembre 2018
Séance introductive, Présentation des responsables et des thématiques du séminaire, celles d’actualité au regard de celles abordées les années antérieures. Présentation de la bibliographie du séminaire.

 5 décembre
Pietro Fornasetti (IMAF, EHESS), La construction spatiale des migrations transnationales : pour une proxémique non culturaliste des mobilités au « pays bissa » (Burkina Faso)
Résumé :
Dans cet exposé j’essayerai, tout en m’éloignant du projet culturaliste de E. T. Hall (1977), de développer une analyse spatiale – ou proxémique – des migrations transnationales des jeunes bisa de Sinikiere (un village du Centre-Sud du Burkina Faso). Pour ce faire, il faudra coupler l’analyse des pratiques migratoires avec une étude de l’espace domestique. L’ethnographie montrera en effet que les pratiques migratoires (déplacements, envois d’argent) sont enchâssées dans un ensemble d’habitudes, de relations et de valeurs organisées dans le cadre des maisons. L’agencement de l’espace domestique dispose les habitants au quotidien, il leur fournit un modèle pour décrire la division du travail, la consommation de nourriture, les rapports de genre. La particularité de ce modèle est de fournir un cadre normatif qui admet, à certaines conditions, le contournement des normes affichées. L’anthropologie de la maison (Bourdieu 1970 ; Carsten & Hugh-Jones, 1995 ; Lévi-Strauss 1979), qui invite à mettre en avant la coexistence et le « compromis » entre « principes antagonistes » par rapport à l’univocité des normes (de filiation, de descendance, de résidence), fournira les principaux outils de réflexion.

Bourdieu Pierre, 1970, « La maison kabyle ou le monde renversé », in Pierre Maranda et Jean Pouillon (dir.), Échanges et communications mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss, La Haye Paris, Mouton : 739 758.
Carsten Janet et Hugh-Jones Stephen, 1995, About the house Lévi-Strauss and beyond, Cambridge New York Melbourne, Cambridge University Press.
Hall Edward Twitchell, 1966, The hidden dimension : Man’s use of space in public and private, New York, Etats-Unis d’Amérique, Anchor Books.
Lévi-Strauss Claude, 1979, « L’organisation sociale des Kwakiutl », in La voie des masques, Paris, Plon : 164 192.

 19 décembre - ATTENTION au changement de salle  : CRAL, 1er étage, 96 bd Raspail 75006 Paris
Anna Dessertine (PRODIG, IRD), Penser les espaces à partir des mobilités : dynamiques rurales en Haute-Guinée
Résumé :
Cette intervention vise à comprendre les transformations socio-spatiales en contexte rural et minier guinéen. Je m’appuie ici sur une approche spatiale dynamique, qui consiste à déplacer le regard en analysant les espaces comme produits par les mobilités des individus, plutôt que comme des territoires délimités qui seraient supposés négocier avec ces dernières. Cette approche sera également comparative, puisque mon intervention explorera les dynamiques de trois villages différents, à partir de recensements, d’entretiens semi-formels et d’observations menées dès 2011 dans la région de la Haute-Guinée. Ces trois villages agricoles seront pensés au regard du contexte minier aurifère artisanal et industriel, de la proximité avec des zones de plus en plus urbanisées, et pour certaines frontalières avec le Mali. Remettant en cause la vision très répandue en Afrique d’une urbanisation mécanique, exponentielle et inévitable, cette intervention proposera de nouvelles pistes pour penser les espaces ruraux guinéens, à travers une redéfinition des espaces par les mobilités et la pluri-activité des habitants.

A paraître, « Une justice foncièrement autre ? Pouvoir, territorialisation et stratégies d’accès au foncier en contexte minier aurifère (Guinée) », Revue Internationale des Etudes du Développement, 2019.
2016, « Présences imminentes. Mobilités et production des espaces dans un village malinké de Guinée », Thèse soutenue à l’université Paris Nanterre sous la direction de Michael Houseman.
2016, « From pickaxes to metal detectors : Gold mining mobility and space in Upper Guinea, Guinea Conakry », The Extractive Industries and Societies, Vol. 3 : 335-341, DOI : 10.1016/j.exis.2016.02.010
2013, « Le lu ne meurt jamais : mobilités des individus et pérennité de la résidence dans un village malinké de Guinée », Géocarrefour, Vol. 88/2 : 131-138.

 16 Janvier 2019 :
Ismaël Moya (LESC, CNRS), Valeur ou sentiment ? (H)ontologie au Sahel en général et à Dakar en particulier
Résumé :
À partir de mes travaux à Dakar, je propose l’hypothèse suivante. À Dakar, l’honneur, la honte, la discrétion et la pudeur structurent l’espace social au point où ce qui est désigné dans la langue française comme les « apparences » est plus valorisé que le reste. Le maintien des apparences fait ainsi l’objet d’un intense travail social. J’en présenterai plusieurs aspects : dans les interactions linguistiques et le rapport à la vérité ; dans les relations statutaires (« castes » en particulier) et le rapport à l’action ; dans la présence ou l’absence et la notion de personne ; dans la religion ou encore dans les relations de parenté et l’économie.
Ces éléments ne sont pas spécifiques à Dakar ou au monde wolof mais sont présents dans de nombreuses sociétés du Sahel occidental musulman. Cette séance sera l’occasion de discuter du recueil de textes publié sous la direction de Catherine Baroin et Barbara Cooper en avril 2018 et intitulé La honte au Sahel. Pudeur, respect et morale quotidienne. Cet ouvrage propose d’étudier la honte au Sahel comme un sentiment auquel chacun s’efforce de ne pas s’exposer. En m’appuyant sur ces travaux, j’essayerai d’explorer la relation entre valeurs sociales et émotions dans un contexte où le maintien des apparences structure l’existence.
Enfin, la honte, en relation à la notion d’honneur, a fait l’objet de nombreux travaux en anthropologie, en particulier pour savoir dans quelle mesure ces thèmes permettent de caractériser les sociétés méditerranéennes. À partir ce cette discussion, je m’interrogerai sur les conditions d’une comparaison à l’échelle régionale.

Baroin Catherine & Cooper Barbara (dir.), 2018, La honte au Sahel. Pudeur, respect, morale quotidienne, Paris : Sépia
Moya Ismaël, 2017, De l’argent aux valeurs. Femmes, économie et société à Dakar, Paris : Société d’ethnologie
Moya Ismaël, 2016, « L’esthétique de la norme : discours et pouvoir dans les relations matrimoniales et maraboutiques à Dakar », Autrepart, 73 : 181-197
Peristiany, J.G. (ed.), 1965, Honour and Shame : the values of Mediterranean society, London : Weidenfeld & Nicolson

 30 janvier 2019
Abdel Wedoud Ould Cheikh, professeur à l’université de Lorraine, Les polémiques constituantes du champ maraboutique ouest saharien
Résumé :
Les sociétés de l’espace sahélo-saharien - et singulièrement parmi elles, la société maure - sont connues pour la (relative) rigidité des structures hiérarchiques qui désignent en leur sein la place statutaire des individus et des groupes. La religion musulmane constitue, depuis au moins les XVIIe-XVIIIe siècles, l’un des fondements majeurs de légitimation de ces structures. L’ordre des zwâya – terme traduit généralement en français par "marabouts" – désigne à cet égard la strate qui, au sein de la société maure, tient son ’rang’ d’une spécialisation présumée/affectée dans les affaires religieuses. L’accréditation de cette spécialisation exige des ’connaissances’ et des ’compétences’ qui font l’objet d’une lutte de classement entre les ’spécialistes’ du champ maraboutique désireux d’occuper les places assignées par la structure aux figures ’savantes’ des zwâya. C’est de cette lutte, en particulier lorsqu’elle met aux prises les awliyyâ’ et les fuqahâ’, les "saints" et les théologiens/légistes, ainsi que leurs prérogatives ’légitimes’, qu’il sera question dans cette intervention.

A partir de son dernier livre La société maure. Eléments d’anthropologie historique, Éditions Bouregreg/Centre des études sahariennes, Rabat (2017).

 6 février
Jean Schmitz (IMAF, IRD), La religitimation de l’esclavage par l’islam mondialisé contemporain (Boko Haram) ou les malentendus de l’abolitionnisme des imamats et jihâd en Afrique de l’Ouest (XVIII-XIXe siècles)
Résumé :
Dans l’actuelle décennie 2010, deux événements récents situés aux deux extrémités de l’Afrique de l’Ouest articulent islam, esclavage et abolition de façon contradictoire. Le 27 avril 2012 en Mauritanie,le leader du mouvement abolitionniste IRA, Biram Dah Abeid brûla publiquement plusieurs livres de droit musulman (fiqh). L’objectif était de dénoncer la « version locale » du fiqh qui déclinait les incapacités civiles et surtout religieuses de « l’esclave », à diriger la prière… À l’inverse en avril 2014 dans l’État du Borno situé à l’est du Nigeria, le groupe Boko Haram mettait en esclavage les lycéennes de Chibok au nom du jihâd. Aussi plusieurs auteurs parlent de « post esclavage » (post slavery) pour qualifier la situation présente où l’abolition de l’esclavage n’aurait pas abouti à l’éradication de formes de stigmatisation religieuses, matrimoniales… (Lecoq & Hahonou 2015 ; Pelckmans et Hardung 2015).
On peut toutefois se demander s’il ne faut déplacer ce questionnement antérieurement. Deux ouvrages récents réévaluent contradictoirement l’émancipation ou l’abolition à l’âge des imamats du XVIIIe siècle et des États fondés après un jihâd du XIXe siècle en les insérant au sein des « révolutions atlantiques ». Rudolph Ware dans The Walking Qur’an (2014) considère que la révolution musulmane à l’origine de l’imamat de la vallée du Sénégal aurait aboli l’esclavage dans les années 1785-1787 avant la première abolition française de 1791. En revanche Paul Lovejoy dans Jihâd in West Africa during the Age of Revolutions (2016) limite la portée émancipatrice des jihâd à la phase initiale de la fondation du plus important État issu du jihâd du XIXe siècle, le califat de Sokoto (Nigeria du Nord) fondé à partir de 1804 par ‘Uthman dan Fodio ou de ses émirats (Liptako, Ilorin…) et dans l’espace atlantique, à la révolte des Malês (musulmans) à Bahia au Brésil en 1835. Ultérieurement l’entreprise se mua en une gigantesque opération d’asservissement des « païens », un « second esclavage » puisque selon les calculs de Lovejoy, les effectifs d’esclaves présents à Sokoto au milieu du XIXe siècle sont comparables à ceux de l’Amérique du Nord et du Brésil à la même époque.
Nous discuterons ces deux thèses dans le cadre de l’imamat de la vallée du Sénégal où l’émancipation d’esclaves guerriers à la fin du XVIIIe siècle fut suivie de la reconstitution d’une micro armée noire par les almaami qui étaient à la tête de l’imamat au milieu du XIXe siècle. L’ethnographie à l’échelle locale d’une des capitales de l’imamat s’attachera aux inter-relations entre une dynastie d’almaami et leurs esclaves guerriers (mameluk). D’autre part les maîtres étaient également reliés par mariage à cette élite servile par le biais des concubines-esclaves (umm el-walad, « la mère de l’enfant », femme » taara…). C’est cette configuration, le complexe mameluk / umm el-walad, identique à celle des mameluk, slaves soldiers, "esclaves de la couronne" dont parle Sean Stillwell (2004, 2014) dans le califat de Sokoto, qui, selon nous, explique le fait que l’abolition islamique ne soit que restreinte.

Lovejoy, Paul E., 2015 « Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe-XIXe siècles », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique, 128 : 8-103.

Lovejoy, Paul E., 2016 Jihad in West Africa in the Age of Revolution 1785-1850, Ohio University Press.

Ware, Rudolph T., 2014 The Walking Qur’an : Islamic Education, Embodied Knowledge, and History in West Africa, University of Carolina Press.

 20 février
Benjamin Acloque (EHESS), "Une improbable frontière précoloniale au Sahara. Questions autour d’un tracé départageant des puissances tribales en 1868 en Mauritanie (Sahel/Adrar)"
Résumé :
En août 1868 est signé un acte juridique traçant une limite entre l’émirat de l’Adrar et « la terre des Єhl Bārikaḷḷa ». Ligne imaginaire nord-sud de près de 200 km, elle lie des sommets éminents entre eux. Le traité vient en conclusion d’un conflit opposant les deux entités au nom de leurs dépendants respectifs impliqués dans un meurtre. A côté des compensations matérielles usuelles spécifiées dans le texte (diyya doublée) pour éteindre toute vendetta, une frontière entre eux est tracée. La production de ce document juridique, se situe près de trente ans avant la conquête coloniale, alors que les Européens commencent à peine à s’aventurer dans le Sahara atlantique (actuels Mauritanie et Sahara occidental), en particulier en 1860, quand le capitaine Vincent cherchait pour la France à signer un traité de commerce avec les pouvoirs sahariens.
Document unique en son genre à ma connaissance, il met étonnamment sur un pied d’égalité un puissant émirat et une qabīla religieuse, certes riche et respectée, mais considérée par statut inapte à interférer dans la « grande politique » réservée à ceux de statut guerrier. L’existence de frontières formelles et leur reconnaissance par traité est aussi une originalité inouïe. Par ailleurs quels espaces sont définis par des limites ainsi formulées ? des territoires politiques ? des juridictions autonomes ? des propriétés foncières ? Nous mettrons en discussion le document et les éléments de contexte pour tenter d’en approcher le sens et les enjeux, dont celui de l’existence de frontières dans un espace trop hâtivement réputé pour ne pas en avoir.

 20 mars
Delphine Sall (LESC, Paris Nanterre), « Le mariage ce n’est pas la mer à boire, seulement la belle-mère à avaler » . De l’autorité dans les maisons Wolofs
Résumé :
Dans le monde wolof, après la célébration religieuse du mariage, la cérémonie d’entrée en résidence (ceyt) ritualise l’arrivée de l’épouse dans une nouvelle maison, un nouveau monde de femmes qui lui sont de principe hostiles et qu’elle va devoir conquérir. L’ethnographie de plusieurs maisons à Kayar, ville au Nord de Dakar, permet d’observer un monde féminin indépendant et hiérarchisé dont les hommes sont remarquablement absents. Partis en migration pour la plupart, ceux qui restent sont chassés en dehors des maisons dans la journée par la présence des femmes. Pourtant la plupart des maisons sont associées au nom des hommes, ou surtout d’un homme, le maître de maison (boroom kër) qui, bien qu’absent la plupart du temps, est censé contrôler tout. Pour les femmes, la maison wolof (kër) est un monde féminin à la tête duquel la belle-mère organise, arbitre, et parfois maltraite ses brus. Pour les hommes, la maison est la résidence d’un patrilignage sous l’autorité de l’homme le plus âgé de la maison. En contrastant les autorités dans la maison, nous chercherons à comprendre l’organisation interne d’une maison wolof. Ceci nous permettra d’aborder autant la question des rapports hommes/femmes que celle des rapports d’âge et d’affinité entre femmes.

 3 avril :
Erin Pettitgrew (New York University Abu Dhabi/IMAF), Évoquer l’invisible : Islam, médiation spirituelle et changement social au Sahara (Mauritanie)
Résumé :
Cette communication propose de reconstituer l’histoire sociale des médiateurs spirituels du Sahara, ces savants des sciences ésotériques de l’Islam qui interviennent dans le monde surnaturel pour guérir, protéger, ou parfois faire du mal de la part de leurs clients. Ces sciences et leurs experts font partie d’un système de pratiques thérapeutiques et protectrices qui assistent à gérer l’insécurité physique, l’angoisse sociale, et les désirs privés. Des femmes célibataires cherchaient l’expertise de ces médiateurs pour afin d’assurer un mariage en temps voulu. Une fois mariées, elles sont parties voir ces experts en demandant des carrés numérologiques qui garantissent la fertilité et la fidélité des maris. Des guerriers et des émirs récompensaient ces experts avec des troupeaux de bétails et des promesses d’exonération fiscale. Des familles avec un enfant malade ont fait appel à ces médiateurs spirituels pour diagnostiquer et guérir des maladies provoquées par la jalousie des voisins. Ces sciences puissantes constituaient un système de savoir qui répondait aux besoins de ces consommateurs et elles assuraient la santé et le bien-être des populations locales. Basée sur des recherches de nature historique et ethnographique effectuées en Afrique de l’Ouest et surtout en Mauritanie, cette communication se constitue des cas du cœur d’un premier livre que l’auteur est actuellement en train de terminer. D’une part, l’exposé se focalise sur l’histoire des esprits invisibles, et comment les habitants du Sahara revendiquent - en entretenant des relations avec ces esprits - des terrains, une place dans la hiérarchie sociale et un rôle politique. De l’autre, l’exposé porte un regard sur la transformation des discours divers (colonial, réformiste, praticien, juridique) autour de ces pratiques souvent vues comme hétérodoxes et donc illicites ou inutiles mais qui perdurent malgré les critiques réformistes et modernistes.

Publications liées à cet exposé :
 “The History of Islam in Mauritania,” for the Oxford Encyclopedia of African History, ed. Thomas Spear (accepté et à paraître, 2019).
 “Histories of Race, Enslavement, and Abolition in the Middle East,” Mediterranean Politics (2019), Online, DOI : 10.1080/13629395.2018.1564508.
 “Politics and Affiliations of Enchantment among the Ahel Guennar of Southern Mauritania,” in Politiques de la culture et cultures du politique dans l’ouest saharien, eds. Sébastien Boulay and Francisco Freire (Editions de l’Etrave, 2017) : 293-318.
 “The Heart of the Matter : Interpreting Bloodsucking Accusations in Mauritania,” The Journal of African History 57, n. 3 (November 2016) : 417-435.
 “The Colonizer’s Mahadra : Language, Identity, and Power in Mauritania under French Control.” in Ufahamu : A Journal of African Studies 33, n. 3 (Spring 2007) : 60-88.

 17 avril :
Yahya El-Beraa, Université de Nouakchott (invité IISMM en avril), Cinq siècles de fatwas dans le Sud-Ouest saharien. Présentation de la grande collection d’avis juridiques, de cas d’espèces et de jugements des fuqahâ’ de l’Ouest et du Sud-ouest Saharien - Discutant, Abdel Wedoud Ould Cheikh.

Vacances de printemps
1er mai : férié

 15 mai :
Roman Loimeier, U. Goetingen (invité IISMM en mai), Dynamics of Reform in 20th Century Africa /Dynamiques de réforme en Afrique contemporaine.
Résumé :
Muslim societies in sub-Saharan Africa have seen, since the late 17th century, the emergence of numerous of movements of reform. Some of these movements of reform have turned into movements of jihad, in particular, when we look at the movements of reform in the 18th and 19th centuries in West Africa that were often led by religious scholars linked with a Sufi order. In the 20th century, these Sufi-oriented movements of reform have been complemented by Salafi-oriented movements of reform. Although these Salafi-oriented movements of reform tend to criticize Sufi practices as un-Islamic innovations, their dynamics of development can be compared well with Sufi-inspired movements of reform : they usually develop a distinct programme (manhaj) of reform, they create symbolic distinctions with respect to other Muslims, they insist on forms of social separation and they finally (but not necessarily) establish (spatially) separate communities. Being aware of numerous differences between individual movements of reform, I try to highlight the structural similarities among these movements of reform.

Literature :
• Kane, Ousmane et Jean-Louis Triaud (eds., 1998). Islam et Islamismes au sud du Sahara. Paris.
• Loimeier, Roman (2013). Muslim societies in Africa : A Historical Anthropology, Bloomington.
• --- (2016). Islamic Reform in 20th century Africa, Edinburgh.
• Otayek, Réné et Benjamin Soares (eds., 2007). Islam and Muslim Politics in Africa. New York.

Discutante Charlotte Courreye Prix du thèse GIS MOM « L’association des musulmans Algériens et la construction de l’Etat algérien indépendant (1931-1991) »

 29 mai :
Amalia Dragani, visiting scholar CUNY, chercheure affiliée au LAS : Visions touarègues de Jésus. Conversions religieuses au pentecôtisme en milieu saharo-sahélien
Résumé :
À l’heure des globalisations religieuses concurrentes, sur la base des nos connaissances antérieures et des recherches en cours en milieu urbain (Bamako et Niamey) nous investiguerons les trajectoires de conversion, déconversion et reconversion au christianisme des Touaregs qui en viennent à adopter cette confession. Si les dynamiques de conversion religieuse au christianisme dans des environnements majoritairement musulmans ont fait l’objet de travaux concernant l’Afrique du Nord et le Sahel (entre autres, Bava 2016 ; Boissevain et Le Pape 2014 ; Cooper 2006 ; Dirèche-Slimani 2009), elles demeurent assez inexplorées s’agissant des sociétés sahariennes contemporaines, plus connues aujourd’hui pour fournir un terrain d’accueil aux divers mouvements djihadistes qui ébranlent la région saharo-sahélienne. L’objectif de notre recherche est l’appréhension des évolutions en cours dans cette société, tout particulièrement pour les transformations des hiérarchies sociales et des relations de genre en son sein, à partir des « hidden histories » des convertis touaregs dans l’espace nigéro-malien, de l’observation filmée des cultes des Églises de Tombouctou et de Gao, actuellement refugiées à Bamako, et de la production poétique chrétienne en langue touarègue.

Bava S. 2016, « Migrations africaines et christianismes au Maroc. De la théologie des migrations à la théologie de la pluralité religieuse », Les Cahiers d’Outre-Mer, 274, p. 259-288.

Boissevain K., Le Pape L., 2014 (éds), « Les conversions religieuses en Méditerranée : dynamiques entre engagements individuels et cadres institutionnels », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, CERRI, Montpellier : Centre interdisciplinaire d’étude du religieux, numéro spécial.

Cooper, B. M. 2006, Evangelical Christians in the Muslim Sahel, Bloomington, Indiana University Press.

Dirèche-Slimani K., 2009, « Dolorisme religieux et reconstructions identitaires. Les conversions néoévangéliques dans l’Algérie contemporaine », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 5, 1137-11

 5 juin : INTERVENTION ANNULÉE
Adam Higazi (Amsterdam U., basé au Nigeria) : Crisis of the Fulani pastoralism in Nigeria (à confirmer). Un des rares chercheurs travaillant sur Boko Haram après avoir fait du terrain chez les Fulani (FulBe, ou Peuls plus à l’ouest) du Nigeria. Confirmation Etienne S.
Discutante Charline Rangé, Doctorante PRODIG, thèse sur le Lac Tchad.

 19 juin :
Delphine Manetta, IMAF-postdoctorante EHESS : Don, monnaie et élection. Une ethnographie de meetings politiques pendant la campagne électorale de novembre 2012 dans des villages jàa (Burkina Faso)
Résumé :
Rétrospectivement, les élections municipales et législatives de novembre 2012 ont constitué une période charnière dans la trajectoire politique du Burkina Faso. Elles ont annoncé la chute de Blaise Compaoré et la fin de l’hégémonie de son parti, le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), en octobre 2014. Ma présentation se propose d’étudier, depuis des villages jàa du Sud Ouest du pays, ce tournant dans l’histoire du Burkina Faso en repensant le rapport entre don et pouvoir.

L’ethnographie de scènes de don d’argent pendant les meetings politiques du CDP montre que le don pose plusieurs questions : à qui, comment et pourquoi les candidats aux élections donnent-ils ? En quoi le don permet-il à certains de se hisser au sommet des hiérarchies politiques alors que d’autres échouent aux élections ? Dans quelle mesure le don instaure une compétition dans la dépense et l’ostentation ? Ces scènes révèlent en effet que le don permet aux candidats d’actualiser et d’étendre leur réseau de donataires en se superposant à des liens de parenté et de clientèle. La ritualisation des dons d’argent découvre toutefois que le don, qu’il soit à l’initiative des candidats ou qu’il résulte d’une demande, est d’abord une pratique contingente dont la performativité est toujours incertaine. Dans le contexte des élections de 2012, l’incertitude inhérente au don explique la mise en ballotage des candidats du CDP dans les villages jàa et la contestation du pouvoir présidentiel.

Aux questions initiales, s’interrogeant sur la capacité du don à produire un pouvoir réticulaire par l’établissement de liens pluriels de dette et de dépendance, se substitue alors une autre question : dans quelle mesure le don, en tant que pratique incertaine, explique la transformation du pouvoir ? Ma présentation montrera que l’analyse du rapport entre don et éligibilité nécessite d’étudier ce moment particulier du don qu’est sa réception. En effet, la remise d’un don éveille toujours, dans l’esprit de celui qui reçoit, plusieurs interrogations qui vont conditionner la propension du don soit à produire des liens positifs de dette et de dépendance, soit à se méfier voire à révoquer le pouvoir du donateur quand bien même le don est provoqué et accepté par le récipiendaire : « d’où provient la monnaie qui m’est transmise par le don ? Par quels canaux a-t-elle circulé avant de parvenir entre mes mains ? D’où vient celui qui donne ? Comment a-t-il acquis la monnaie qu’il m’a remise ? » Ma présentation proposera finalement de concevoir l’incertitude consubstantielle du don en termes spatiaux, au travers de l’histoire géographique de la monnaie et des donateurs.